09 mai 2008

Concurrence



Tu habites pile en face. Je me demande d'ailleurs si tu tiens compte des horaires, ou si tu attends de voir ma voiture garée là, à quelques mètres de l'entrée. Les lectures et autres travaux scolaires t'amènent régulièrement à venir me saluer. Si régulièrement que je te croyais 'à l'aise' ici. Je sais que, parfois malgré moi, je peux impressionner les ados. Avoue quand même que vous nêtes pas un public facile : j'aimerais vous voir plus nombreux et, en même temps, lorsque vous déboulez avec vos références incomplètes, vos questions mal formulées et votre air renfrogné, j'ai un peu de mal à vous répondre aimablement. Sincèrement, je croyais qu'on avait passé ce stade-là. Que tu avais compris que je ne mordais pas. Ou rarement.
Lundi, tu es rentrée pour me demander de prolonger une durée de prêt, puis avant même de me donner le titre du bouquin en question, tu es devenue toute rouge et je t'ai entendu bafouiller 'oh, mais non, que je suis bête, celui-là, je l'ai pris à la bibliothèque de l'école...'. Ca arrive si souvent que des lecteurs me rendent des livres empruntés chez des confrères de la région...mais tu ne le sais pas évidemment. A tes yeux, tu venais de commettre LA boulette. Tes derniers mots ne furent que chuchotements timides. J'ai quand même compris que tu t'excusais et tu as filé illico te mettre à l'abri dans ta maison. Ca s'est passé si vite, mais je pense quand même avoir eu le temps de te dire que ça n'avait vraiment aucune importance, que c'est très bien de fréquenter plusieurs bibliothèques, enfin quelque chose pour te faire comprendre que je n'étais vraiment pas fâché du tout du tout du tout...

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah ! Ca se voit que vous ne bossez pas en réseau, Nescio. Parce que chez moi, les "erreurs" de retour, c'est monnaie courante. Et franchement, ça craint. Aussi, quand un petit malin dépose chez nous "par mégarde" des docs qu'il a la flemme, ce gros cossard, de restituer là où il les a empruntés, je ne manque pas de lui dire qu'on n'est pas sa boniche. Et que s'il ne revient pas, je ne lui en voudrais pas. Mais il revient, en général.
Ignatius

nescio a dit…

Me dites pas que vous aimeriez 'perdre' des lecteurs...

nescio a dit…

ah, et au fait, si si, je travaille en réseau, puisque je m'occupe de deux bibs...et il arrive effectivement -mais pas si souvent- que des lecteurs me rendent des livres de l'autre bib...en général, j'accepte...je fais comprendre qu'il ne faut pas abuser...le cadre rural, la superficie très étendue des deux communes et les horaires réduits de la plus petite des deux bibs font que ce n'est effectivement pas facile pour tout le monde...

Anonyme a dit…

Si si, je confirme : j'aime (ou plutôt j'aimerais) perdre des lecteurs. Quand je pense aux collègues qui se lamentent de leur bibliothèque désertée... Pour moi, c'est malheureusement une utopie. Et pourtant, je fais tout ce que je peux pour leur être désagréable. Comme, par exemple, mettre en évidence ("valoriser", comme on dit maintenant) le cahier de suggestions et ne jamais satisfaire les demandes, ou inscrire des commentaires désobligeants (en insistant bien sur leur niaiserie ou leurs goûts douteux). Mais rien n'y fait. Donnez-moi des idées, s'il vous plait. Vous n'aurez pas affaire à un ingrat.
Ignatius.

Yvonnic a dit…

@ Ignatius
Si vous voulez virer un maximum de lecteurs, je ne vois vraiment pas où est le problème. Il suffit d'avoir une politique d'acquisition bien adaptée. N'achetez que des trucs de niveau universitaire, bien pointus, épais, scientifiques surtout, des thèses sur la mecanique quantique, etc.. et surtout mettez-les bien évidence, avec des "coups de coeur" si possible, pour bien montrer que c'est là votre meilleure "vitrine". Et restez souriant. Vous donnerez le ton général. Une fuite éperdue des publics populaires devrait suivre dans l'année.

Il y en a bien qui y arrivent sans le faire exprès...

Par contre pour justifier de cette hémorragie auprès de votre hierarchie, ça va être plutôt coton de leur expliquer que tous leurs électeurs sont des crétins et des attardés...

Anonyme a dit…

Je vous remercie de vos suggestions. Mais soyez assuré que je les ai déjà expérimentées. Ca marche moyen. Etant donné mon haut niveau d'études, j'achète en priorité les documents les plus pointus (ceux qu'Electre signale par la mention "public motivé" - encore que ce marchand surévalue scandaleusement certains ouvrages). Je les expose ostensiblement et je ne manque jamais d'orienter les lecteurs - surtout ceux qui m'indisposent - vers ces textes exigeants afin de les décourager. Les plus tenaces osent malgré cela me demander : "Vous n'avez rien de plus accessible". Moi je réponds : "Il y a des imagiers en secteur jeunesse." Eh bien, vous me croirez si vous voulez : certains y vont ! Les collègues râlent un peu. Ils soutiennent que, bien que judicieux, mes conseils augmentent leur charge de travail. J'en conviens. Aussi le problème de la présence inopportune d'un trop grand nombre de gens reste-t-il entier.
Cela dit, aucun risque d'exclure ce que vous appelez le "public populaire" : ne viennent que des bourges et des petits bourges, comme dans toutes les bibliothèques de France, ainsi que nous l'apprennent les sociologues sérieux. Alors...
Enfin, étant issu d'une famille ouvrière, je ne partage pas le préjugé qui veut que la vraie littérature, la vraie philosophie ne soient accessibles qu'aux "héritiers".
Quant à la "hiérarchie", c'est bien simple : je l'emmerde.
Ignatius.

Yvonnic a dit…

"Quant à la "hiérarchie", c'est bien simple : je l'emmerde."
Cher Ignatius, dont les propos me rappellent étrangement quelqu'un d'autre,il ne vous reste qu'à souhaiter que votre hierarchie ne décide pas d'en faire autant...

Au fait, pourquoi Ignatius ?
Soit c'est un saint docteur de l'Eglise qui mourut en martyr en 115, ce qui vous irait assez bien (de mourir en martyr, crucifié par votre public et votre hierarchie...), soit c’est le prenom du heros assez minable de la Conjuration des imbeciles de John Kennedy Toole. Ce qui n'est pas mal non plus, mais là c'est à vous de voir...

Ou c'est autre chose.

Anonyme a dit…

Oh, vous savez, la hiérarchie m'emmerde déjà : c'est même sa fonction première (sinon, à quoi les chefs pourraient-ils bien servir, hein ?) Quant à rechercher le martyre, je n'ai pas la vocation. De ce point de vue, en effet, je me sens proche du "minable" du roman de Toole (la crasse en moins).

Anonyme a dit…

Le public n'est qu'un public de victimes. Qu'ils ne viennent plus, cela leur ferait le plus grand bien. Il y a tant de choses à faire dans la vie plutôt que de lire des sottises pareilles.

Quant à la hiérarchie, tout le monde connaît le principe de Peter. D'autre part, la hiérarchie, ce ne sont que des marionnettes. Ceux qu'ils faut viser, ce sont ceux qui tirent les ficelles.

Il n'y a aucun débat, aucune explication dans ce métier. Tout est camouflé, clandestin, sournois, bureaucratique, en réseau secret. Toutes les décisions sont prises dans les ministères, sans la moindre transparence, sans la moindre consultation des intéressés, c'est-à-dire ceux qui sont sur le terrain. Les seuls autorisés à s'exprimer sont les apparatchiks et les z'initiés.

Leur démocratie, c'est de la blague. Nous sommes dirigés par des forces occultes.

Zorn

Yvonnic a dit…

Vous ne vous rendez pas compte que plus vous dénoncez le complot mondial et les "forces occultes", plus vous accréditez l'idée qu'il est impossible de faire quoi que ce soit ? C'est une ode au fatalisme que vous écrivez à chaque fois. C'est bien ça, le nihilisme. Au dessus de "ceux qui tirent les ficelles", il y a quoi ? Dieu, ou le Docteur No ?

Vous aussi, vous écrivez démocratie avec deux "s", comme crasse ?

Anonyme a dit…

Ce qui se passe sous nos yeux souvent révulsés dépasse de loin nos petites volontés...

Nous sommes face à un de ces grands mouvements de l'Histoire dont on ne saisira sûrement jamais les causes réelles et les conséquences que dans quelques dizaines, voire centaines d'années. La fin de l’éphémère empire du capitalisme occidental, la ruée du Sud vers le Nord, le retour aux grandes migrations… tout cela s’est fait sans nous et doit mourir sans nous.

Nous vivons la fin d’un monde, événement gigantesque, tellurique, impossible à freiner. Toutes nos volontés devraient être tournées vers l’après. Nous avons perdu la capacité d’être les accélérateurs de l'Histoire, il faut prendre garde à ne pas chercher à en être les retardateurs.

Plutôt que de chercher à maintenir tant de choses déjà mortes, mieux vaut laisser partir, et voir venir.

Zorn le veilleur du Kali-Yuga

Yvonnic a dit…

Pour le retour aux grandes migrations, moi j'ai choisi le camping-car. C'est un bibliobus en vacances.