04 juin 2006

Astérix




C'était au début. Vraiment le tout début de ma carrière de bibliothécaire de campagne. Les choses se mettaient tout doucement en place. Motivation au top. Tu es arrivée un après-midi, je m'en rappelle très bien, c'était une belle journée d'été et j'ai eu l'impression que le soleil prenait un malin plaisir à mettre ta pâleur maladive en évidence. Tu ne t'es pas inscrite, tu n'as pas souhaité emprunter de livre, tu m'as seulement demandé si j'étais intéressé par un don. La série complète des 'Astérix', rien de moins. J'ai dit 'oui’ bien sûr et nous avons convenu d'un rendez-vous chez toi, quelques jours plus tard. Tu avais beaucoup de difficultés à marcher, et un deuxième voyage, qui plus est chargée d'une vingtaine de bouquins, t'en aurait trop coûté.
Chemin de terre, nids-de-poule et un bungalow perdu dans la campagne. Je sonne, et dès le moment où tu m'ouvres, je suis littéralement enveloppé par une forte odeur de médicament. Aujourd'hui encore, quand je rentre dans une pharmacie, l'odeur me paraît moins forte que chez toi à ce moment-là.
J'ai compris, et la question de ton âge m'est apparue d'une importance capitale. Je ne l'ai su que quelques semaines plus tard, en découvrant le faire-part de décès dans la presse locale. Nous étions de la même année, tout juste de la même année.
Cette série de bouquins dont tu voulais te débarrasser, elle est toujours là. J'y prends garde, j'ai dû en recoller quelques pages mais je t'assure qu'elle a été empruntée et réempruntée. J'aurais pu y apposer un cachet spécial 'Don de Mlle...', c'était une pratique courante autrefois en bibliothèque. Mais non, finalement, moi seul en connaîtrai la provenance.
Ils ont longtemps conservé cette odeur de pharmacie dont ils étaient imprégnés et, certains jours, lorsqu'ils me passent entre les mains, il me semble qu'elle est toujours là.






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