Reclassement
Alors comme ça, tout était faux. Toute cette histoire, c'était de l'invention. Grâce à l'acharnement d'un journal, 'Le Soir', nous apprenons aujourd'hui que le récit 'autobiographique' de M. Defonseca, 'Survivre avec les loups', relève finalement de la fiction pure. Reste peut-être une belle histoire; j'écris 'peut-être' parce que je ne l'ai pas lu.
J'imagine que je ne suis pas le seul bibliothécaire à y penser : toutes les bibliothèques qui l'ont acquis avant aujourd'hui vont probablement devoir réviser la fiche catalo de ce récent objet du délit. Et le faire passer du rayon 'autobiographies', ou 'biographies' ou encore 'récits de vie' à ceux consacrés aux fictions. Sauf dans 'ma' bib. Non, il ne s'agit pas encore de l'une de ces prémonitions bibliothéconomiques qui assoient ma réputation plus loin que l'internet ne porte. C'est plus simple. Notre exemplaire nous fut légué par un zélé lecteur. Une édition 'club', style France Loisirs. Le parcourant aujourd'hui, je me rends compte qu'à aucun moment il n'est précisé que c'est une histoire vraie. Fort logiquement, il s'est donc retrouvé avec les autres romans.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
14 commentaires:
L'acharnement des critiques sur cette affaire est assez triste. voir sur http://www.lefigaro.fr/culture/2008/02/28/03004-20080228ARTFIG00667-survivre-avec-les-loups-la-supercherie-.php
L'histoire était suffisamment véridique pour qu'on ne l'enfonce pas parce qu'elle n'était pas véritable. Elle meme fait pleurer Simone Veil, il parait. Moi, je le laisserai bien en autobio.Je ne résiste pas au plaisir de citer un article de JC. Thialet intitulé : POUR QU'IL Y AIT SUPERCHERIE ...
"Pour qu'il y ait supercherie, comme en matière d'escroquerie, il faut qu'il y ait des "gogos" prêts à croire tout ce qu'on leur raconte. Et plus l'hitoire est belle, plus son "raconteur" émeut, plus le sujet lui paraît attachant, plus ça marche...(...) je m'interroge pour savoir quelles seront les réactions de l'opinion publique (particulièrement de ceux qui jettent la pierre à celle qui a "survécu avec les loups") lorsqu'on découvrira que certain "Journal" célèbre n'a pu, matériellement, être écrit par celle à laquelle on l'attribue, un "Journal" que celle-ci n'aurait pu en aucun cas écrire avec un stylo à bille ! Les histoires les plus belles ne sont pas forcément les histoires vécues ..."
Il a raison. Nous savons, depuis assez longtemps, que le Journal d'Anne Frank est un faux, sur ce plan du moins, mais il est tellement "vrai" par ailleurs, qu'il a atteint la dimension du mythe. Plus vrai que vrai. Il semble que notre mémoire des choses ne puisse se construire durablement que sur quelques mythes, davantage que sur de l'histoire pure et dure. Comme notre sensibilité s'embarrasse assez peu de véracité.
Ouh là... ça devient chaud bouillant ici !
Zorn
Tiens, je pensais que ce bouquin était tout récent, mais non, je m'aperçois qu'on a des exemplaires datant de 1998...
Sinon, bien sûr qu'il faut le remettre en fiction. Notre rôle est de permettre aux usagers de faire le tri dans les différentes informations. Donc, si ce texte n'est pas une biographie, il n'a strictement rien à faire parmi des documentaires. C'est en laissant perdurer les approximations et les mythes qu'on finit par ne plus savoir ce qui est vrai.
Pour ma part, je le retirerais des autobiographies et le placerais dans les romans. Maintenant, hein, vous faites comme vous le sentez...J'ai moi-même bcp de mal avec certains récits : autobiographie? roman? récit de voyage? Je m'efforce de penser au lecteur : que cherche-t-il? Et que trouve-t-il dans le rayon dont l'intitulé se rapproche le plus de ses centres d'intérêt? Si je place des romans en autobiographies sous prétexte que l'histoire 'aurait pu être vraie', à quoi bon maintenir des rayonnages 'récits de vie' séparés des ceux des 'romans'?
Il ne me semble pas que faire preuve d'honnêté intellectuelle n'enlève quoi que ce soit de la force d'évocation d'une oeuvre de fiction...Vous ne dites pas autre chose, Yvonnic, en évoquant la force du mythe sur notre mémoire.
@rincevincent : oui, c'est déjà assez 'ancien'....mais remis sous les feux de l'actu par la récente adaptation cinématographique.
@Nescio
C'est vrai, sur un strict plan d'honnêteté intellectuelle, voire de déontologie.
Mais puisqu'au fond nous pouvons considérer que cela ne change pas grand chose, que la différence entre le vrai et le véridique est parfois si minime, qu'est-ce qui doit fonder ma démarche de bibliothécaire vis à vis du public ?
L'accès.J'ai pu constater, comme vous sans doute sur d'autres plans, que le classement d'un livre était déterminant sur son niveau de sortie. J'ai décidé depuis longtemps de faire en sorte que tel ouvrage ayant plus de chances de sortir en bio qu'en romans, ou en bio qu'en sciences sociales,je devais m'adapter à mes lecteurs.
Mon but est que l'ouvrage soit vu, connu, puisse sortir le plus largement possible. Pas de faire un travail d'honnête petit catalogueur de la BN et de laisser s'empoussierer un livre mal placé.
Le catalogueur de la BN a des excuses, il n'a pas de public. Moi si.
Je me souviens, c'était il y a longtemps,que la premiere fois que je me suis fait ce genre de réflexion, c'était pour "Moi, Christiane F. ..." (ça doit vous donner une idée de mon âge...)
A l'époque, j'ai contourné hypocritement le probleme en l'achetant en 2 exemplaires. De toutes façons l'ouvrage était sur-mediatisé.
Mais pour d'autres, moins identifiés (pensez aux journaux, carnets etc.. par exemple, ou mieux encore, des essais litteraires qui ne sortiront que si vous les mettez en fictiont), j'ai fait des choix.
C'est finalement une politique de tête de gondole. Je sais.Mais j'assume.
Des réflexions sur les "regroupements" au niveau de la Dewey, vont bien au delà de ça actuellement, et on trouve ça plutôt interessant.
Plutôt d'accord avec vous sur le fait d'accorder une plus grande importance au fait qu'un livre 'sorte', soit 'exploité', 'lu'....bref : soit utile en étant 'classé à la grosse louche' plutôt que de la voir prendre la poussière dans un rayonnage où il serait classé à une décimale de CDU près...
Je suis tout sauf un dinge de catalo ou un acharné de l'indexation (j'ai eu une prof qui nous avouait passer des soirées dès plus excitantes durant lesquelles le seul et unique sujet de conversation était l'ISBD!)...mais, dans ce cas-ci, je reste persuadé qu'il doit bien aller en 8-3...et qu'en plus ça n'aura pas bcp d'impact sur son taux d'emprunt...Il peut parfois être buté ce Nescio...
Etant historienne à la base, je me suis battue pour déplacer des ouvrages du rayon histoire vers le rayon roman. Je trouve qu'il est important de bien faire la distinction entre vérité historique et fiction. Après libre aux bibliothécaires de mettre en avant des livres qui n'auraient pas la chance de sortir de leurs rayons "poussiéreux" en organisant des tables à thèmes ou melting-pot... Ou d'orienter les lecteurs vers d'autres livres en séances de prêt
@Trottinette
Exact. Je suis également historien de formation, et assez agacé par la floraison éditoriale actuelle de "témoignages" (je pense par exeple aux livres actuels d'auteurs coréens, chinois ...)qui nous relatent la situation d'un pays à travers leur vécu. Ces documents sont à priori invérifiables par nos propres moyens. Nous devons donc entrer dans le jeu des éditeurs, qui misent sur l'attirance du public pour tout ce qui est autobiographique.Pour le grand public, il y peu de différence entre le "vrai prouvé" et le "vécu". Les mémoires de ma concierge finissent par avoir autant d'importance que le récit d'un SDF ou celui du rescapé d'un génocide africain. C'est une dérive assez inquiétante, d'un point de vue historique, mais pas forcement d'un point de vue littéraire.
Ces documents prenant souvent une forme litteraire romancée, la confusion en est encore renforcée.
Souvenons-nous de l'Archipel du goulag et autres témoignages sur le goulag à une certaine époque, souvent controversés mais aussi documents rares et incontournables, dont finalement seul le temps et les recoupements historiques ont finalement permis d'établir la véracité ou non.
Nous n'avons ni la mission ni les moyens de déterminer ce qui est, ou sera, un document historique reconnu . Mais nous ne pouvons nous permettre non plus de les ignorer, ni de les mettre aux oubliettes en attendant de l'Histoire leur ait donné l'estampille officielle.
Je ne sais pas si nous prendrons un jour des fictions pour les mettre en rayon histoire. Pour l'instant nous faisons plutôt le contraire.
Mais le statut de l'autobiographie, des mémoires, des témoignages et du "récit-vécu", reste difficile à gérer.
On a la meme dérive dans le télévisuel avec la mode du "docu-fiction" (j'a vu recemment un film sur l'affaire Ben Barka dont la surenchère fictionnelle et émotive m'a hérissé le poil.) Défaut d'historien .
Au total je prefère donc le plus souvent me situer dans un rôle de bibliothécaire soucieux de faire connaître et partager ses choix le plus largement possible.
Peut-être faudrait-il instaurer une "veille historique" sur certains de nos documents.
Après-tout, les Mémoires de Saint-Simon sont passés du statut de ragot-bruits de couloirs versaillais à celui de document historique de première valeur. Bon, il a fallu du temps...
Nous sommes en train de préparer une sélection sur Mai 68, et croyez-moi c'est plutôt difficile, tant la production est énorme, les auteurs impliqués ert le sujet encore polémique. Je crois au final que mes préférés sont les romans sur cette époque, et par des engagés de l'époque. Je relis tout de suite "Spinoza encule Hegel" de Jean-Bernard Pouy (Ed. Canaille),un monument de parti pris mais un régal sans failles.
Pour ma part je le retirerai tout simplement de la circulation. En souvenir de l'affaire Binjamin Wilkomirski, un autre imposteur (auteur de "Fragments d'enfance", récit de sa déportation à Auschwitz...totalement fictive). On peut dire, comme Lionel Richard dans "le Monde diplomatique" (Nov. 98)que ce genre d'ouvrage porte "un mauvais coup à la mémoire des victimes" et risque d'accréditer les thèses révisionnistes.
Yvonnic. "Spinoza encule Hegel" n'est pas un "monument de parti pris" comme vous dites. C'est une analyse (oui : une analyse) très juste, sous forme de récit apocalyptique, des impasses politiques de l'époque. En outre, c'est sans aucun doute, à ce jour, le seul bon texte de Pouy - qui, pour cela, mérite le respect, à l'inverse d'autres graphomanes réputés du "polar social" (Didier D., par exemple).
JPH
Dans ma bib, nous pratiquons une très forte autocensure envers ce genre de "témoignage".
Nous n'avons pas par exemple, "survivre avec les loups" qui nous a mis très mal à l'aise dès le départ.
Et malgré les lecteurs qui nous le réclamaient nous n'avons pas cédé.
Je crois qu'il faut être très clairs au départ sur ce qu'on peut (doit) acheter, et ce qu'on ne veut (doit) pas acheter...
c'est tout le problème des achats en bib : pour notre part nous avons rédigé une charte documentaire qui tente d'expliciter ce problème. Ce n'est pas la panacée, loin de là, mais ça aide un peu !
nekita
@nekita
"Je crois qu'il faut être très clairs au départ sur ce qu'on peut (doit) acheter, et ce qu'on ne veut (doit) pas acheter... "
J'aimerai bien voir le passage de votre charte où vous arrivez à expliquer que vous ne tiendrez pas compte des demandes du public dans certains cas, car finalement cela revient à ça. Je dois dire que ça me laisse perplexe. La charte étant par essence un document assez généraliste, comment peut-on y insérer des cas de figure aussi particuliers ? ça pourrait tout de mème être assez interessant. A moins que vous n'excluiez des pans entiers de littérature ?
De mème le "peut = doit" m'échappe un peu.
Enregistrer un commentaire