30 décembre 2007

Une petite phrase

Lue chez Larcenet, qui lui-même la tient de son ami et scénariste Ferri (lisez 'Le retour à la terre' et 'Aimé Lacapelle'!!!) :

"Mieux vaut lire aux chiottes que chier dans la bibliothèque".

Voilà qui sort un peu du langage châtié auquel vous êtes habitués ici.
Anyway, merci à ces deux-là.
Les livres qui rendent meilleur



Il est des livres dont la lecture vous donne l’impression de grandir. A leur lecture, vous apprenez quelque chose, que ce soit sur vous-même, sur le genre humain en général ou sur l’un ou l’autre domaine de la connaissance. Pour que cela marche vraiment, il faut que cet afflux de nouvelles connaissances se fasse sans peine, que vous n’ayez pas l’impression d’être assis devant une lecture imposée ou face à un prof sans charisme. Le sentiment d’avoir attendu cette lecture, d’être prêt pour elle et d’en absorber la moindre miette au point qu’elle devienne vous, s’imposera alors indépendamment de votre volonté. Comme une rencontre à laquelle vous ne pouviez heureusement pas échapper. La transformation sera alors indéniable, profonde, à vie.

Tout commence toujours dans l’enfance. Pour Daniel Mendelsohn, ce furent des récits entendus de la bouche de son grand-père. A chaque fois qu’ils se rencontraient, Daniel lui demandait de se souvenir et de raconter. Et lui, toute ouïe, engrangeait. Sa jeune mémoire s’imprégnait de ces épisodes de l’histoire de sa famille maternelle, comment elle vécu en Pologne, avant l’exil à New York fin des années 20 et comment l’un des frères de son grand-père décida de retourner là-bas pour ne jamais en revenir. Ce grand-oncle disparu, Schmiel Jager, va hanter toute l’enfance de Daniel. Prisonnier de son village passé sous domination nazie, il tentera à de multiples reprises de financer sa fuite et celle des 5 membres de sa famille, les lettres arrivées jusqu’en 1941 à New York en attestent. Passé cette date, plus de nouvelles. Les récits –parfois contradictoires, souvent incomplets- de sa fin et de celle de sa femme, et de ses 4 filles, ont néanmoins traversé les mers. Ce sont ces récits qu’en 2001, Daniel décide d’approfondir pour ‘connaître les circonstances particulières qui transforment les statistiques et les dates en une histoire’. Six millions de juifs : au-delà de ce chiffre, à chaque ‘unité’, une histoire particulière, un être humain, comment il vécu, quels étaient ses goûts, qui étaient ses amis et ses parents et comment précisément il quitta ce monde. Pour toucher à cette connaissance, pour rendre vie à ces six membres perdus, Mendelsohn se rendra en Pologne, en Australie, en Suède et en Israël. Il rencontrera plus de témoins et entendra plus de souvenirs qu’il ne l’avait jamais espéré. Progressivement, il renouera le fil avec les disparus. Il leur rendra vie, afin que tout ce qu’ils furent ne soit pas entièrement perdu.
Tout au long de son enquête, Mendelsohn relit les premiers livres de la Torah et, sans qu’il ait à prendre un ton académique, le parallèle avec l’histoire des disparus, mais également avec les relations parfois difficiles qu’il entretint avec ses frères et sœur, sans oublier l’Histoire tout court, se révèle saisissant. Comme si ce que contiennent ces premiers livres n’était autre qu’une histoire destinée à se répéter encore et encore.

27 décembre 2007


Back Office

Je l’ai appris il y a peu. Vous le saviez sans doute, ce joli terme qui fleure bon le langage des affaires désigne toutes les tâches purement administratives, qui s’effectuent donc dans l’arrière bureau. En ce qui concerne le travail en bibliothèque, cela doit englober tout ce boulot qui échappe aux lecteurs, pour qui la bibliothèque, c’est le prêt de livres, point barre. Je l’ignorais, c’est normal, je suis un bibliothécaire de campagne : chez nous, tout ce qui est nouveau arrive toujours avec un peu de retard. Ceci pour vous dire que ces derniers temps, j’en ai un peu plus justement, de temps pour me consacrer au 'back office'.

A deux, c’est tout de suite une autre vie. J’avoue finir les journées plus relaxé, et sans avoir pour autant l’impression d’heures de travail moins productives. Au contraire, je vois des tâches en retard depuis des semaines se réaliser tout à coup et sans peine. Tout simplement parce qu’il y a là, derrière ce foutu comptoir de prêt, une autre personne assise à ma place. A cette place où j’ai passé beaucoup trop de temps. Toutes ces heures d’affilée, je ne dois pas vous faire un dessin, même si ce n’est pas l’usine, en fin de journée, on n’a plus envie de voir personne. Et surtout, on ne veut plus parler, plus renseigner, plus chercher. Quand j’y retourne à présent, c’est avec plaisir. Ca va tout seul, sourire franc et bonne humeur réelle.

Depuis un mois donc, et jusqu’à ce que ma nouvelle collègue soit entièrement autonome, je me tiens en arrière-garde. Sur un deuxième poste installé à la hâte dans un coin de la bib, je m’adonne presque avec joie à la catalo, à de l’élagage et j’arrive –enfin- à être à jour au niveau administratif. Tout cela en gardant un œil sur ce qui se passe au prêt. Sous peu, elle pourra se débrouiller toute seule et chacun assumera une partie de ses heures d’ouverture en solo. Et bien oui tiens, on partagera le 'back office' aussi, parce que le travail en première ligne, même s'il lasse certains jours, c'est quand même l'essentiel non?

20 novembre 2007

Folle jeunesse

Une toute belle histoire, lue chez Oliver Le Deuff, dans son 'Guide des égarés'....où comment nos jeunes lecteurs peuvent égayer nos tristes existences de fonctionnaires mal payés. Bonne humeur assurée pour le restant de la journée!
Blogger m'emm....


Attention hein, pas le verbe 'bloguer'. C'est bien de la plateforme qui héberge ces modestes lignes qu'il s'agit. Je m'explique. Quand on prépare un article et qu'on l'enregistre en mode 'brouillon', si on publie d'autres articles entretemps, le jour où ce premier article est enfin prêt et publié, 'Blogger' le place à la date à laquelle vous avez entamé sa rédaction. Et donc, pour les lecteurs qui suivent votre blog, je suppose qu'il passe inaperçu. Donc, si vous voulez du neuf, allez à la date du 4 novembre. Ce qui tombe assez bien d'ailleurs vu le titre de cet article.

14 novembre 2007

Un rien m'énerve


Ca vous arrive de vous dire que vous exagérez? Que vous jugez trop rapidement quelqu'un que vous avez à peine vu ou entendu? Quelqu'un à qui vous ne laissez même pas la chance de se défendre? Par exemple, vous arrive-t-il quelquefois d'être gagné par le découragement à l'écoute de certaines conversations adolescentes? Conversations desquelles vous déduisez une affolante baisse du niveau intellectuel de ceux qui, pensez-y cher lecteur, un jour, prendront -certes avec nettement moins de panache- votre place, ou -pire- la mienne? Et est-ce qu'ensuite, vous vous dépêchez de chercher dans vos connaissances l'un ou l'autre contre-exemple à ce triste constat : un ado avec qui une conversation sensée reste possible, sans que vous deviez tous les trois mots le corriger et vous entendre répondre, une pointe d'agressivité dans la voix : 'mais on s'en fout, tu as bien compris ce que je voulais dire quand même? ' Et est-ce que juste après, vous vous auto-mutilez intellectuellement en psalmodiant : 'mais tu vois, ils sont pas tous comme ça, il y en a encore, des intelligents. Faut toujours que tu exagères, espèce de vieux c...'?


Séance d'acquisitions à la librairie. Ma liste en main, je coche les titres trouvés, j'en compulse d'autres, bref, comme diraient mes confrères instituteurs, je me promène aux frais de la commune. Il y a du monde. Notamment quelques ados empressés de se faire remarquer. Pour leur santé comme pour la mienne, je m'éloigne vers de plus calmes zones. Mais l'un d'eux, la quinzaine déguingandée, persiste à me harceler, il me suit, une importante conversation téléphonique en cours de la main gauche, la droite vaguement brinquebalante à l'orée de sa poche. Bien malgré moi, je l'entends dire : 'non, là, je suis à la bibliothèque'.
Quelques instants plus tard, le même, GSM raccroché, désignant le tome deux d'un roman exposé, s'en prend à sa grand-mère : 'tu vois ce livre-là, ben, j'ai déjà lu le premier thème, c'était vraiment bien, j'adore moi, les livres de chevaliers et de dragons'.
Deux phrases, deux erreurs de vocabulaire, deux baffes virtuelles.
Je m'en suis retourné, à moitié convaincu de ma propension à l'exagération. Et certain par contre d'oublier les franges les moins glorieuses de ma propre adolescence sans doute trop lointaine.

05 novembre 2007

Prévisions

Je l'avais écrit ici, puis je n'y ai plus repensé. Aujourd'hui, impossible de ne pas vous en faire part. Je suis trop fort. Mieux que Paco et Elisabeth réunis. Jugez donc. Le 11 janvier de cette année, je pariais qu'avant deux ans, un lecteur céderait à la bib son exemplaire des 'Bienveillantes'. Aujourd'hui, 5 novembre, soit moins d'un an après, paf, le voilà, en première position dans un joli sac en papier, avec une dizaine d'autres titres plus ou moins récents. Persuadé que la généreuse donatrice faisait partie des centaines de personnes ayant acheté la brique littelienne sous la pression médiatique, je me suis contenté de la remercier -chaleureusement encore bien. Lui demander si elle l'avait apprécié risquait de la mettre dans l'embarras.

04 novembre 2007

Quatre

C'est sous ce signe qu'est placée la chaîne à laquelle m'invite Liber Libri. Exercice difficile que de rassembler en seulement quelques lignes des années de lecture et des goûts fluctuants avec l'âge. Bref, compte tenu de ma mémoire défaillante et de la limite numérique, voici :

Les 4 livres de mon enfance / adolescence :

Ca ne vous ennuie pas que je parle plutôt de collections? Non? Alors, il y avait :
- Les 'Bibliothèque Rose' (Oui-Oui, puis, les Clubs des Cinq et Clan des Sept)
- Les 'Signes de piste'....aaahhhh, les aventures de scouts livrés à eux-mêmes dans la nature...










- Les 'Travelling'















- et une série bd que je ne peux pas ne pas citer, tant j'en ai lu et relu chaque volume : Blueberry
Les quatre écrivains que je lirai et relirai :

- Fernando Pessoa
- John Steinbeck
- Ed McBain
- et encore un auteur Bd : Maurice Tillieux et ses 'Gil Jourdan'

Les quatre auteurs que je ne relirai probablement plus :

....pffff, trop dur, ça, les trucs chiants j'aime autant les oublier très vite...je ne lirai sans doute plus de Dantec (et ce bien que j'ai adoré ses 3 premiers romans), ni de Nothomb et sûrement pas de Sarraute....et, je ne lirai plus de Stieg Larsson, mais ça c'est parce qu'il est mort...

Les quatre premiers livres de ma 'liste à lire' :
- Les disparus, de Daniel Mendelsohn (je triche, je viens de le commencer...)
- L'huile sur le feu, d'Hervé Bazin (je ne rigole pas, ma fille doit le lire pour l'école...et j'aime autant en parler avec elle avec l'interro...)
- Le temps où nous chantions, de Richard Powers
- La zone d'inconfort, de Jonathan Franzen
Les quatre livres que j'emporterais sur une île déserte :
...logiquement, ce devrait être des livres d'auteurs qui figurent dans ceux que je lirai et relirai...'Le livre de l'intranquilité', un volume de l'intégrale du '87e district', 'Les raisins de la colère' et 'L'enfer de Xique-Xique'...

Les dernières lignes d'un de mes livres préférés :




"Et, tandis que là, sur ma modeste plage, j'attends mon avenir en regardant déferler les vagues, j'éprouve une étrange et grisante allégresse. Après tout, nous voici à l'Age de l'Incertitude et de l'Inachevé. John James Todd, me dis-je à moi-même, te voilà enfin en accord avec l'univers"



('Les nouvelles confessions', de William Boyd)



Je fais suivre à Trottinette (elle peut nous faire une variante sur le thème de la cuisine...), à Nekita, à Ion (je ne sais si elle me lit, ni si elle s'amuserait à ce genre d'exercice, la citer ici me permet de rendre hommage à son blog salvateur) et, finalement à Passiflore, parce que j'aime toujours en apprendre un peu plus sur elle....

Sauvés par Régine


Début du concert avec une heure de retard, déjà ça, ça m'énerve. Bon, ok, il y avait deux 'premières parties' avant eux, mais pourquoi ne pas l'annoncer clairement? Bref, à 21 heures et quelques, les lumières laissent la place au noir presque complet, les pieds des micros et les cinq cercles disposés sur la scène s'illuminent : pas de doute, les Canadiens vont débarquer. Dix, pas moins. On attaque en force : j'ai oublié le titre du premier morceau, mais en deuxième position, c'était 'No cars go', suivi pas très loin par 'Black wave'...Win, Régine et leurs 8 potes se déchaînent, c'est tonique, énergique et...bruyant. Dès les premières notes, mon oreille gauche en prend un sale coup, nous sommes pourtant bien placés, presque au milieu, dans les derniers fauteuils du premiers rang...Les minutes passent, mais rien à faire : trop fort, pas maîtrisé, mal balancé, on ne comprend rien de ce que chante Win, tant sa voix est saturée par la dizaine d'instruments qui jouent autour de lui. Impression de magma musical qui ne semble pas gêner les dizaines de ptits jeunes entassés dans la fosse. Si on devait classer la sono sur 10, les ingénieurs d'Arcade Fire se récoltent un 1 par politesse. En comparaison, en juillet, au festival de Werchter, ceux des Killers ou de Gabriel méritaient facilement un 9. Et qu'on ne vienne pas me dire que c'est la salle qui est en cause : j'y ai vu d'autres groupes (Radiohead, Noir Désir...) passer parfaitement. Heureusement qu'il y avait la petite Régine, bouleversante dans 'In the back seat' et tirant les autres morceaux vers le haut dès que sa voix s'y faisait entendre. Dernière pierre à leur jeter : sur le coup de 22h30, soit après une heure trente pile de concert, ils nous plantent là. C'est ce que je nommerai une durée syndicale. Bonjour la spontanéité et la générosité. Je parie que même Sardou traite mieux son public que ça. C'était la minute de mauvaise humeur d'un admirateur déçu.

30 octobre 2007

Comment distinguer un lecteur d'un usager


Les formations sont toujours propices à se raconter la 'dernière bien bonne' entre confrères. Généralement, ces jolies histoires concernent nos chers amis les lecteurs. Mais pas toujours.

Racontar 1 donc. La scène se passe dans une bibliothèque rurale, assez importante, située au 2ème étage d'un bâtiment que je daterais à vue de nez du 19e, richement rénové et que, pour plus de facilités, tout le monde nomme 'le château'. Un homme rentre, plutôt le genre clochardesque, vêtu de pas frais et traînant un cabas. Comme aimanté par les rayons de la section adultes, il disparaît de la vue de mes confrères. Quelques instants plus tard, un lecteur s'approche du comptoir de prêt et, sur le ton de la conspiration, confie aux bibliothécaires :"dites, le type qui vient de rentrer il y a deux minutes...il vient de pisser contrer une armoire...là, il s'est assis dans un coin et il commence à boire". Les bibliothécaires tout-terrain qui me lisent devineront aisément la suite de l'histoire. Il fallait non seulement virer poliment l'urineur indélicat, mais également rendre aux lieux leur propreté initiale.

Obligations

A la bib : la fin d'année reste synonyme d'échéances à satisfaire. Et cette année me semble pire que les autres. En cause, une formation assez longue à laquelle je fus 'cordialement obligé' de participer. Six jours pleins durant lesquels pas de catalo, pas de suivi des périodiques ni des commandes et autres factures et autant de retard à rattraper au retour.
A la maison : chaque week-end mis à profit pour poursuivre l'aménagement du grenier. Et aussi la routine, les courses, le ménage, le taxi à faire pour les enfants.

Alors que tout ce que je voudrais, ce serait m'assoir (ou me coucher dans un parc, mais dans un pays chaud alors...) et lire.

09 octobre 2007

Maman

D'habitude, tu rentres dans la bibliothèque, tu déposes les livres de ta fille et, si elle m'en a réservé d'autres, tu attends que je les ai enregistrés sur sa fiche avant de t'en aller. Aujourd'hui, tu avais envie de parler. Depuis 15 jours, ta fille ne rentre plus tous les soirs. Elle est à l'université, à Liège, et bien que ce ne soit finalement qu'à une quarantaine de kilomètres, la durée du trajet en transports en commun était décidément trop pénible. Cinq jours sur sept, elle loge là-bas. L'impression, entre ton mari toujours sorti et ta fille qui s'éloigne, d'un grand vide soudain. Le village : un trou perdu dans la compagne. Pas de voiture. Pas de travail hormis la maison à tenir. Et pour qui désormais? Il n'y a pas si longtemps, tu l'attendais. A heure fixe, elle rentrait de l'école en bus. A heure fixe, tu lui préparais son repas. Et le reste devait être à l'avenant. A quoi bon à présent? Tu n'as laissé planer aucun doute, ça ne tenait pas du regard ou du geste : tu l'as dit clairement : "c'est dur".
Je t'ai rappelé à quel point la vie d'étudiant pouvait être gaie. La liberté, les amis, la guindaille. Et les bons souvenirs que j'avais gardés de cette époque dans la Cité Ardente. Cela t'a un brin remonté le moral. Mais j'avais un avantage sur toi : nous, les parents divorcés, nous sommes très tôt confrontés à ne plus retrouver nos enfants chaque soir de la semaine.

08 octobre 2007

Deux

Voilà, ça y est, les candidatures ont été reçues et évaluées. Les postulants ont été entendus. Le jury a fait son choix. Choix qui me semble être le bon. Après douze ans en solitaire, dont plus de la moitié à réclamer inlassablement du renfort, j'ai du mal à me faire à l'idée que l'objectif est atteint. Si vous travaillez dans l'administration, il vaut mieux être patient. Et quand les choses que vous souhaitez finissent par arriver, vous les aviez depuis tellement longtemps en tête que vous en êtes déjà à réfléchir à l'étape suivante. Un mi-temps? Très bien. Et comment vais-je leur faire comprendre que ce ne sera pas suffisant?
Au-delà de ça, l'irruption de quelqu'un d'aussi qualifié que moi risque de tournebouller ma vie de bibliothécaire peu habitué au travail en équipe. Sans doute ais-je, consciemment ou non, développé des méthodes et des habitudes sur lesquelles ma nouvelle collègue ne manquera pas de jeter un oeil cru. Et qu'elle proposera de modifier. Sans doute aussi prendra-t-elle sa part de responsabilités dans cette gestion quotidienne qui m'alourdissait de plus en plus. C'est donc bien de délégation et de partage qu'il s'agira. Et de considérer que cette bibliothèque n'est, dès à présent, plus "ma" bibliothèque.

21 septembre 2007


Dis moi ce que tu lis, je te dirai...


A propos de certains usagers boulimiques, ceux dont je parlais dans mon précédent post (la tribu des 'je ne sais plus si je l'ai dejà lu celui-là'...). Il arrive régulièrement que l'un ou l'autre m'interroge : 'Et avec votre ordinateur, vous ne pouvez pas voir si je l'ai déjà emprunté ou pas?'. Et chaque fois, sans aucune trace de lassitude, je leur explique que non, que conserver la liste des titres qu'ils ont empruntés serait une atteinte à leur vie privée. Je vois bien à leur regard étonné qu'ils trouvent que j'exagère. Le biblio, il aime encore bien hein, la théorie des grands complots. A leurs yeux, qui pourrait bien être intéressé par le fait qu'ils aient emprunté toute la série des Christian Signol ou qu'ils restent de farouches amateurs de Patricia Cornwell? Effectivement, parce que vivre en démocratie endort la méfiance de certains envers les infos que les 'services publics' collectent. Et que, contrairement aux Etats-Unis, chez nous, aucun bibliothécaire ne s'est encore vu obligé de fournir des renseignements à la police concernant les habitudes de ses usagers. Mais si par hasard, il y avait parmi eux un tueur en série, je suis sûr qu'il penserait immédiatement que je n'ai pas tort. Il saurait, lui, comment Morgan Freeman découvre finalement le nom du coupable dans 'Seven'.

10 septembre 2007

Version abrégée


Acheté il y a un peu plus de cinq ans et, selon le merveilleux outil informatisé de gestion de la bibliothèque, prêté sept fois, ce bouquin présentait un défaut qui vient seulement de m'être signalé par une attentive lectrice. La seule parmi les emprunteurs de ce titre. Au niveau de la quatre centième page, il y a effectivement un manque d'une quinzaine de feuillets. Pas perdus ou déchirés, non, la reliure intacte montre bien qu'il s'agit d'un défaut d'origine.

Alors quoi? Les 6 autres ne l'ont-ils pas terminé? N'ont-ils tout simplement rien remarqué? (peut-être s'agissait-il de membres de la tribu des 'j'en ai lus tellement qu'à voir la couverture comme ça, je ne sais plus si je les ai déjà pris') Ou alors, ont-ils eu 1. peur de me le signaler (j'avoue, certains samedis matins, je zappe le rasage et c'est 'tête de bagnard ' au comptoir de prêt) ou 2. pas envie de me le dire? ('pas de raison que je sois le seul à me faire avoir!')? Mon logiciel ne me permet pas de voir qui furent ces -au choix- distraits/peureux/dégoûtés d'Hemingway/vengeurs. Dommage dommage.

06 septembre 2007

Oubli

C'était les vacances, juste avant que je ne fourre mes bagages dans la voiture et une fois rentré, j'ai oublié de vous en parler. Brigitte, dans son blog 'Littératura', parle de ce blog, le mien, les 'Carnets'. Ce qu'elle écrit est assez bien vu et donc voilà, retour d'ascenseur. Merci à elle et bonne route sur le web!

Nettoyage par le vide

Première visite de classe et déjà du nouveau, de l'imprévu. Le public scolaire reste décidément une valeur sûre. Ne croyez jamais avoir tout vu ou entendu : patientez. La surprise surgira au bord du comptoir. Elle est cette fois venue d'un gamin de 8-9 ans. Depuis plusieurs années, ses frères et soeurs avaient tracé la voie : le nombre de bouquins non-restitués leur assure à chacun une place de choix dans mon top 10 des 'usagers pénibles'.

Celui-ci se présente donc devant moi et fièrement me tend le livre qu'il compte emprunter. Un oeil sur lui, l'autre rivé à mon écran, je constate qu'il n'a pas rendu le dernier bouquin emprunté en juin. J'y vais franco : "Mmmm, tu n'as pas ramené ton livre de l'année passée". Bouche ouverte, yeux ronds, il attend la suite. C'est le début de l'année scolaire, il m'espère sans doute compréhensif et coulant. Je poursuis donc : "J'ai envoyé une lettre de rappel". Il me regarde et percute visiblement : "Ah oui, maman l'a reçue, elle ne savait pas que c'était un livre de la bibliothèque, alors elle l'a jeté à la poubelle". Tadaaaam.








26 août 2007


Incommunicado


"A part le flic qui pelletait, ils m'ont tous regardé comme si j'étais un crétin, et pourtant je disais vrai, ce qui montre comment les gens n'arrivent jamais à se comprendre les uns les autres ni à savoir quand quelqu'un dit la vérité ou non."

Odell Deefus, un jeune homme tout frais sorti de son patelin perdu, mi-innocent mi-bonasse, se retrouve malgré lui entraîné dans un engrenage qui le conduira jusqu'au bout de la logique anti-terroriste américaine. Tombé en panne dans le petit village de Callisto, il est recueilli par un type dont il n'arrive pas à déterminer s'il doit le classer parmi les gentils ou les méchants. Et c'est bien là tout le problème de Deefus. Il divise ses congénères en deux catégories, mais comme il manque d'expérience, il classe un peu vite le moindre pékin un rien aimable parmi les gentils. Ce qui ne manque pas de se retourner contre lui, vu l'extrême propension d'une partie de l'humanité à profiter sans vergogne de l'autre, jugée décidément trop conne. Un cadavre, puis deux, suivis par des paquets de drogues et des allusions à des projet d'attentat 'islamite' vont placer Odell sous l'oeil suspicieux des forces de l'ordre. Pris dans leur propre logique (trouver un coupable à tout prix et le faire parler), les flics se montreront incapable de voir en Odell ce qu'il est réellement : un pauvre couillon happé par une machinerie qui le dépasse. Ecrit à la première personne (c'est Odell qui parle), 'Callisto' fait d'abord penser à un polar de Westlake : drôlatique dans sa description d'un plan apparemment sans faille qui finit en un flop monumental en raison de la bêtise de ses protagonistes. Puis, sans que jamais l'humour ne fasse défaut, le roman en rappelle un autre, ce fameux 'Conjuration des imbéciles' de JK Toole, dans lequel la singularité d'un individu (il est pas comme tout le monde...) et l'incommunicabilité que cette singularité induit mènent au désastre.
"Callisto" de Torsten Krol, Buchet-Chastel, 2007

24 août 2007

Briseur de ménage

Me tendant son choix de livres au comptoir :
- Je ne vais pas en prendre trop, sinon, je vais encore en entendre de ma femme
- Quoi, elle vous reproche de beaucoup lire?
- Ben oui, 'on n'entend jamais rien hors de toi' qu'elle me dit. Qu'est-ce que vous voulez que je lui dise? On est tout le temps ensemble, on a vu les mêmes choses. A nos âges, hein?
- Justement, en lisant, ça vous permet d'avoir des choses à lui raconter...
- Ouais, je vais plutôt lui dire qu'elle se mette à lire elle aussi!
Du renfort

J'ai un peu de mal à y croire. Après plus de douze ans à officier ici en solitaire, la commune vient de lancer un appel public pour recruter un 'employé de bibliothèque' à mi-temps. Plus de six ans que j'attends ça. Je modère quand même mon enthousiasme : pour une véritable amélioration du service et un allègement sensible de mes tâches (ne plus devoir assumer toutes les heures d'ouverture au public...) il s'agira de tomber sur la 'bonne' personne. Définissez ce terme svp.

11 août 2007

Reprise des hostilités

Vous n'aviez pas oublié : c'était bien aujourd'hui que je recommençais. A 9 heures précises, la première d'entre vous attendait là -pile derrière la porte- que je tourne ma clé dans la serrure. Ensuite, le défilé n'a connu que de très courtes pauses. Par curiosité, j'ai demandé un petit bilan au système informatique à 18h30 : le nombre de titres rentrés et sortis équivalait à deux 'bonnes' journées habituelles. De quoi le mettre sur les genoux, le biblio de campagne.

Et puis, il y a eu tout le reste, tout le quotidien de mes journées 'normales'. Pas de répit, vous n'avez pas pu attendre un jour de plus. Il y a eu l'ado de 16 heures qui m'a si poliment demandé 'il me faudrait 'Cabot-Caboche' de Daniel Pennac', comme si j'étais Billy Crystal et lui Robert De Niro.
Vos caisses et sacs de dons qui devaient impatiemment attendre leur migration vers la bib.
Deux avis de décès, dont l'un avec moult détails.
Des demandes d'acquisition.
Et une petite phrase, sel des heures passées derrière mon comptoir : 'C'était un bon bouquin, vraiment très prenant et très très plausible. Mais quand même un peu tiré par les cheveux.'

06 juillet 2007

Pause

Demain samedi, dernier jour. Un mois sans mettre un orteil ici. Alternance de vraies vacances délassantes (dont un séjour sur une île française) et de travaux dans la maison en perspective. Plus de temps pour lire aussi.
Qui sait, je reviendrai peut-être avec plein d'idées d'articles pour le blog qui, en ce moment, ne brille pas par son activité débordante, je le reconnais.
Les futurs mois s'annoncent plutôt positifs pour la bib : le ciel se dégage au niveau d'un renfort en personnel. Avec un peu de chance, le mois d'octobre devrait coïncider avec l'arrivée tant attendue d'un ou une collègue à mi-temps. L'époque du travail en solitaire serait-elle révolue? De plus, le nouveau matos informatique destiné à élargir l'offre en nombre de postes publics vient d'être livré et installé : de 2, on passe à 5 pc, dont 4 linuxiens pur jus. Fini de refuser du monde pour cause de postes occupés. Allez, bonnes vacances à vous tous et à dans un mois donc!

25 juin 2007

Tempus fugit; banalités.


J’ai été surpris. Tant mieux, j’étais sans doute le spectateur idéal aux yeux du réalisateur. J’ai commencé à regarder cet épisode de ‘Six Feet Under’, et je ne savais pas que c’était le tout dernier de la série. A dix minutes de la fin, Claire s’embarque pour New-York et, tandis qu’elle parcourt des kilomètres sur l’autoroute, on assiste à un résumé de la vie future des principaux personnages de la série. Nat est déjà mort, mais les autres, tous ceux que Claire a laissés derrière elle, on les voit poursuivre leur parcours et finalement, chacun à leur tour et d’une façon imprévue, rendre leur dernier souffle. Tout va très vite, aussi vite que la nouvelle voiture de Claire (elle avait déclassé son corbillard vert dans l’épisode précédent) et, le temps d’une chanson tristounette (‘Breathe me’ de Sia), Alan Ball, le réalisateur, expédie ad patres tous ces personnages auxquels nous nous étions attachés pendant cinq saisons. Terminato.
Profondément originale, parfois énervante, toujours imprévisible et souvent touchante, ‘Six Feet Under’ était un portrait de famille parfait, une tranche de vie dans laquelle les réalisateurs ont réussi à relever et à épingler les faits saillants sans jamais les juger, renvoyant sans cesse le spectateur à sa propre existence. Nous regardons les Fisher s’aimer, s’engueuler et se réconcilier, nous les voyons se débattre pour garder la tête au-dessus de l’eau professionnellement ; nous les suivons aux différentes étapes de leurs vies, qu’elles soient gaies ou tristes, teintées de réussites ou d’échecs. Comment ne pas y apercevoir certains de nos propres reflets ?

Aujourd’hui, j’ai conduit pour la dernière fois ma plus jeune fille à l’entrée de son école primaire. L’année prochaine, elle rejoindra sa sœur en humanités et là, c’est sûr, ça va défiler encore plus vite.

20 juin 2007

Ca bouge

Deux biblioblogs découverts récemment pour l'un et tout récemment pour l'autre. Récemment donc : "Médiamus : Le blog des bibliothécaires musicaux de la Médiathèque de Dole" : exactement le genre de blog que j'aimerai pouvoir mettre sur pied dans ma petite bib de campagne, si j'en avais le temps, si nous étions au moins deux pour l'alimenter et si je me décidais tout bonnement à le faire un jour et basta pour les nouveautés à catalographier! Voilà, c'est animé, coloré, ludique et les confrères-auteurs donnent plein d'idées de disques à écouter. Et, tout récemment, aujourd'hui même : 'Couv. ill. en coul. : Melvil (Dewey) et Jean-Philippe (Rameau) sont dans un bateau'. Je n'hésite pas, je reproduis ici la présentation de ce blog par son (ses) auteur(s) : "Le monde des bibliothèques est un peu trop sérieux à notre goût. Couvillencoul.wordpress.com se propose de montrer la face cachée de ces lieux géniaux où beaucoup d’efforts sont faits pour que des livres (pardon : des documents, en bibliothécais moderne) et des lecteurs (pardon : des usagers, en bibliothécais politiquement correct) se rencontrent autour d’une bière (pardon : d’un OPAC, en bibliothécais SIGBéisé)" . Voilà qui est dit et bien dit. Nous sommes là face à une entreprise de....euh...décrispation? déridage? revendiquée et assumée de notre bô métier qui me semble plutôt bienvenue. J'y ai -notamment- glané cet aphorisme : "La meilleure façon de trouver des livres sur les dragons, c’est de demander à la dragonne qui est derrière la banque de prêt". Longue vie à eux!

Déformation professionnelle

En repos forcé pour quelques jours. Une caisse trop mal soulevée ou de trop tout simplement. Ou trop de tout, simplement.
Vous ne me manquez pas, les lecteurs. J’avoue cette fin d’année scolaire assez longue. Encore trois semaines de boulot et je ne vous verrai plus pendant presque un mois. Ca va me faire du bien.
Je sais que, malgré tout, je ne pourrai m’empêcher de lire les recensions de nouveaux livres et de ma balader à la librairie, à l’affût d’un titre inconnu. Je me dirai ‘tiens, voilà qui va intéresser untel’ ou ‘dju, le voilà le bouquin de biologie qui aurait pu m’aider l’autre jour’ et puis, je prendrai note des références pour une future commande.
Parfois, lorsque je me promène en ville et que l’un ou l’autre me reconnaît, je ne peux m’empêcher de penser que pour vous, je suis toujours le biblio. Identifié, étiqueté, catalogué. Je ne suis pas un inconnu accompagné de sa femme, en train de boire un verre à une terrasse. Je suis le biblio, (encore) occupé à boire l’apéro avec sa femme à une terrasse de la Grand’Place. Mais en fait, ça ne tient pas qu’à vous, c’est aussi moi qui ne peux m’en empêcher. Qu’importe les circonstances, les lieux et les personnes : il est bien rare que, dans un petit coin de mon cerveau, quelques neurones ne prennent un malin plaisir à me rappeler qui je suis. Ce foutu bibliothécaire. Ce rôle que je ne devrais endosser que cinq jours par semaine, entre 8h.30 et 18h.30 selon les horaires, et si j’arrivais tout simplement à baisser complètement le volet.

31 mai 2007

Qué passa?

Ben oui, je vous lis chers confrères bibliobloggueurs, notamment ceux qui figurent dans ma liste de liens. Or donc, depuis quelques jours, 'Suburban Librarian' n'est plus accessible : un mot de passe nous est demandé. La biblioblogosphère deviendrait-elle un domaine réservé à quelques initiés? Nous retirerions-nous du commun des bloggueurs (les non-bibliothécaires)? Ou, plus simplement, notre ami aurait-il publié certaines photos trop compromettantes? Hmmmm?

30 mai 2007

La relève

Sa maman m'avait déjà livré le secret : plus tard, elle serait bibliothécaire. C'est en sortant d'ici que sa fille de cinq ans lui avait fait part de ce projet. Voilà qui nous change des habituels 'infirmière', puéricultrice' ou autre 'institutrice' que nous sortent les petites filles à cet âge-là, lorsque la mauvaise idée nous vient de leur demander ce qu'elles comptent 'faire plus tard '. L'idée chemine en tout cas dans l'esprit de cette jeune lectrice. En témoigne cette réflexion, également rapportée par sa maman : 'quand je saurai lire, tu m'empêcheras de dormir, comme ça je lirai encore plus de livres'.
Voilà qui me rappelle le leitmotiv de notre prof de littérature française, régulièrement asséné aux bibliothécaires en devenir que nous étions : 'dormez moins, lisez plus!' Je le vois encore, les poches sous les yeux témoignant d'une mise en pratique assidue de ce précepte.
Pour ma part, c'est en vain que je l'applique : la pile de livres 'à lire absolument' se régénère comme par magie.

29 mai 2007

Fait divers

Je m’en souviens comme si c’était hier. Je rangeais péniblement des bouquins dans les rayonnages –c’était un samedi matin. Toi, tu faisais ton choix. En quelques minutes, j’ai laissé tomber deux serre-livres à terre : ils sont en plastique bien dur, ça fait du bruit sur le carrelage. J’ai finalement repoussé le chariot de rangement vers sa place et là, c’est à une avalanche de ces mêmes serre-livres que nos oreilles ont eu droit. Tu t’es approchée en souriant, puis tu m’as dit : ‘c’est pas votre jour’ et tu en a ramassé quelques-uns. Je t’ai remerciée pour ce geste, il confirmait bien mieux que n’importe quelle parole la sympathie que tu m’inspirais. Aujourd’hui, je lis dans le journal ce qui t’es arrivé samedi dernier. La moto, ça n’ a jamais été mon truc. Peut-être est-ce lui qui aimais ça, ce monsieur un peu bougon qui t’accompagnait à chaque fois. Je lis et je relis cet entrefilet et je n’arrive pas y croire, et me reviennent en mémoire ces quelques mots que tu m’avais gentiment adressé : ‘c’est pas votre jour’.

21 mai 2007

Signets

une carte postale d'une de tes amies
un emballage de préservatif -vide-
une feuille de papier toilette
une photo de Monsieur couché sur son lit
une autre de ton chien
un mot d'amour assez cru
la feuille que l'on décolle d'un protège-slip
un photo de ton chat
des billets de train, des listes de courses, des tickets de caisse, des extraits de compte bancaire
une carte de remerciements après un décès -avec la photo du défunt-
des photos de toi, en pleine fiesta
une recette de cuisine -pas essayée-
un cure-dent
une carte de voeux pour l'année nouvelle
une lime à ongle -modèle métallique-
et, chaque année, en septembre : du sable fin

10 mai 2007


Nazis suédois


Stefan Lindman est policier. Nous l’avons déjà rencontré dans ‘Avant le gel’, la première enquête de Linda Wallander, du même Henning Mankell. Il y tenait un second rôle. Il n’a pas encore 40 ans, mais il a déjà un cancer. De la langue. C’est la seule chose à laquelle il arrive à penser. Cette foutue boule sous son palais. Même la sollicitude de sa compagne Elena n’arrive pas à calmer ses angoisses. Le temps que les analyses soient terminées, il se prépare à vivre l’enfer, incapable de se concentrer sur autre chose que cette lancinante question ‘combien de temps me reste-t-il ?’. C’est la mort de son ancien collègue Herbert Molin qui va le tirer de sa léthargie. Celui-ci a été torturé dans sa petite maison perdue dans les bois, là-bas, dans le fin fond de la Suède. Bien qu’il n’ait aucune légitimité pour enquêter en-dehors de Boras, sa ville, Lindman décide d’effectuer le voyage dans le Härjedalen, la contrée que Molin avait choisie pour ses vieux jours. Très vite, il se rendra compte qu’il ne connaissait pas le vieil homme et que le passé de Molin devait être assez lourd à porter. Mais ce qui va le plus déstabiliser Stefan, ce sont d’autres découvertes imprévues. Et qui le touchent de près, puisqu’elles concernent son propre père, un homme de la même génération que celle de Molin.
Inutile de le cacher, puisque le fait apparaît très clairement dès les premières pages du livre, le cadre de l’enquête de Lindman, c’est la Seconde Guerre mondiale et, plus précisément, l’attitude de certains suédois durant cette période, attitude qui continue à faire des émules autour de Stefan. Imprégné de sa maladie, co-habitant avec son cancer, Lindman, va trouver dans cette enquête de quoi détourner son attention : peut-être y a-t-il là quelque chose de pire que son cancer ? Quelque chose de plus dangereux que cette maladie et qui mérite qu’il s’y attaque de toutes les forces qui lui restent ? Cette enquête, il ne va pourtant pas cesser de vouloir l’abandonner. Sans arrêt, ses collègues et sa compagne lui demandent : quand rentres-tu ? Et de répondre à chaque fois : ‘demain’ ou ‘après les obsèques’. Et pourtant, il ira bien jusqu’au bout, à l’image de Wallander, l’autre personnage de Mankell qui, lui aussi, s’interrogeait sans cesse sur le pourquoi de ses enquêtes et qui, malgré tout, les menait toutes à bien. Comme lui, Lindman est animé par une force qu’il ne comprend pas lui-même, une pulsion qui le pousse à aller jusqu’au bout de ce qu’il a entrepris, au-delà des difficultés et de la répulsion que lui inspirent certains agissements sur lesquels il enquête. Comme s’il y avait là une promesse muette. Celle d’une vie qui ne s’arrêterait pas si facilement ?
Une fois encore, Mankell touche à l’essentiel et, même s’il se défend de vouloir donner des leçons, au travers de ses personnages campés tout en finesse et d’une intrigue encore une fois passionnante, c’est à penser qu’il nous incite. Et à garder les yeux ouverts.


'Le retour du professeur de danse', Henning Mankell, Seuil, Points

08 mai 2007


Policier de comptoir (de prêt) - 3 : En balade

Evidemment, tu ne pouvais pas savoir. Qu’en plus d’être bibliothécaire, j’aimais bien, par certains dimanches matins, baguenauder sur l’une ou l’autre brocante. Peut-être préfèrerais-tu que je dise ‘marché aux puces’ pour être sûr d’être compris par nos lecteurs français ? Va donc pour ‘marché au puces’.
Assise derrière tes bibelots, tu as dû me reconnaître, bien que tu aies prétendu le contraire quelques instants plus tard. Dans ton bric-à-brac, c’est ta caisse de bouquins qui a attiré mon regard. C’est toujours comme ça dans ce genre d’endroit, les livres sont à peu près les seules choses que je regarde. Bien m’en prit cette fois encore. Il faut dire qu’il n’y en avait pas beaucoup, une vingtaine tout au plus. Je n’ai donc pas eu de mal à reconnaître les ‘miens’ : le plastifiage, les étiquettes et les cachets m’y auraient aidé si besoin en était.
Ainsi donc, ça m’arrivait à moi : je retrouvais en vente des livres qui appartenaient à l’institution que je servais avec dévouement (si, si !). Ce genre d’évènement qui, je le croyais, n’arrivait qu’aux autres.
Je l’avoue, je l’ai jouée assez basique et, après coup, j’ai regretté de ne pas l’avoir pris avec plus d’humour :
- ‘Mais ! Ils viennent de ma bibliothèque ces livres-là !’
- ‘Ah? Je ne sais pas’
- ‘Vous ne me reconnaissez pas ?’
- ‘Non’ (menteuse, menteuse, tu brûleras en enfer !)
- ‘Mmmm….vous habitiez à (tûûût) avant ?’
- ‘Oui’
- ‘Et vous êtes madame (tûûût) ?’
- ‘Ah non !’
- ‘C’est juste, c’est le nom de votre fille n’est-ce pas ?’
- ‘Oui…’
- ‘Bon, je vais donc les emporter sans vous les payer’

Ni toi ni ta fille n’avez moufté. Le justicier des bibliothèques publiques de campagne avait encore frappé. Le fourbe ennemi acceptait la sentence. L’un et l’autre espéraient bien ne plus jamais se revoir.

23 avril 2007

Septante-cinq ans

Nous avons le même médecin et, ce matin, à l’aurore, nous nous sommes croisés dans sa salle d’attente. Presque 35 ans nous séparent mais, question joie de vivre et dynamisme, tu pourrais en remontrer à la majorité des mollusques de 16 ans que je rencontre à la bib. Entre deux quintes de toux, tu en as profité pour me demander si je fermais en cette période de congé pascal. ‘La deuxième semaine seulement’ t’ais-je répondu. ‘Bon, alors, je viendrai cet après-midi’.
Et effectivement, te voilà.
‘Ah, ça va mieux, je toussais, je toussais. Un début de pharyngite. J’ai pris un antibiotique, ça va déjà mieux’.
‘Tant mieux’, réponds-je, toujours très vif.
Parce que tu es comme ça, tonique et extravertie, tu n’hésites pas à me détailler ton entrevue avec le toubib. D’une poussée du pied, je m'éloigne du bureau -le fauteuil à roulettes, un de mes plaisirs simples- et je détache mes yeux de l’écran du portable.
‘Ben, tu sais, il m’examine là et là (mouvement des mains qui tapotent sur ta poitrine, ton cou, ta tête) : tout va bien, tout va bien. Il regarde dans mes oreilles et il me demande si je n’ai pas mal, parce qu’en plus, j’ai une otite. ‘Oui’, que je lui dis. Alors, il fait son étonné parce que je ne lui avait pas signalé depuis le début. Ben, que je lui fais, on n’arrêterait plus de se plaindre si on commence comme ça.’

17 avril 2007


A Lisbonne

Plein soleil et néanmoins fraîcheur : j’ai trouvé la terre mosane déjà trop chaude à mon retour.
Un petit resto où la carte était écrite au bic – et raturée. Ce qui n’empêche : sardines grillées excellentes.
Des hommes et des femmes qui parlent tout seul, celle-ci à l’arrêt de bus, celui-là au milieu de la rue. Leur ton parfois virulent comme s’ils réglaient des comptes avec l’un ou l’autre invisible.
La tombe de Pessoa et l’indifférence des (autres) touristes.
Des anglais commandant des spaghettis bolognese : le plat de secours tout en bas de la carte.
Le goût incomparable du petit café de l’après-midi.
A propos des (autres) touristes : faut toujours que j’en croise qui se comportent en conquérants. A mettre en rapport avec la mauvaise humeur bien affichée de certains chauffeurs de tram et de bus.
Un des premiers cd de Chris Rea : je le cherchais depuis des lunes. Bon moment, bon endroit sans doute.
Et la main qui s’accrochait à mon bras dès que nous sortions de l’hôtel : papa, me perds pas dans cette grande ville inconnue.
See that twinkle in your eyes. Precious moments never die
(John Watts ; Fischer-Z : ‘Red Skies over paradise’, 1980)

10 avril 2007


Lisbonne


Quelques jours sur les traces de Pessoa et d'Amadeu de Prado. Outre le 'Routard', j'emporte avec moi 'Les Falsificateurs' d'Antoine Bello et 'Le retour du professeur de danse', dernier polar mankellien pas encore lu. La valise et les billets sont prêts, le magnéto est programmé : alles in orde. Goede reis!

05 avril 2007

Fadila veille sur moi

Il y a des jours où je me demande si les hautes sphères pensent à moi. Si ma ministre, Mme Fadila Laanan a, de temps en temps, une pensée émue pour mon action quotidienne et non-désinterressée (je ne suis pas bénévole) en faveur de la lecture publique et, plus largement, de l'éducation permanente. Voici que m'arrive un courrier qui m'ôte tout doute. Même si elle ne m'écrit pas elle-même (je comprends bien : elle n'a pas que ça sur le feu), qu'elle ait pensé à me faire part de son avis sur un point d'actualité me réchauffe le coeur. Si, si. Et puis, c'est quand même signé par le (nouveau) responsable de la Lecture Publique. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelques extraits de ladite lettre :
'Madame la Ministre souhaite attirer votre attention sur un opération de propagande obscurantiste lancée à l'endroit des bibliothèques publiques de la Communauté française. Elle consiste à envoyer gratuitement 'L'Atlas de la Création'. Son auteur Harun Yahya attaque les théories de l'évolution, et nie les vérités scientifiques les plus élémentaires. Comme vous l'avez certainement déjà décidé, il y a lieu de ne pas verser ce type de littérature obscurantiste dans vos collections. Madame la Ministre insiste sur le fait que l'ouvrage à Harun Yahya ne doit pas être mis à la disposition des usagers'.
Deux choses : comme me le faisait justement remarquer ma fille de 15 ans pas plus tard qu'avant-hier : 'quand j'entends une fille me dire 'la voiture à mon père', je sais tout de suite que ses notes en français ne doivent pas être terribles'. Et donc, 'l'ouvrage DE Harun Yahya' aurait été plus judicieux, surtout dans une missive officielle de Ministère de la Communauté FRANCAISE (comme la langue).
Mais je suis sans doute mesquin. Ce sont les vacances de Pâques, personnel réduit au Ministère, plus personne pour relire.
Deuxièmement : cette formule 'comme vous l'avez certainement déjà décidé' ne serait-elle pas légèrement du genre à nous prendre pour des abrutis tout en essayant très finement de ménager notre susceptibilité? Des fois que nous n'ayons pas lu tous les articles de presse parus à ce sujet (c'est quand même notre métier : lire autre chose que la météo), des fois que nous intégrerions un bouquin sans l'avoir au préalable et au minimum parcouru, le Ministère est là, tel l'incroyable Hulk repoussant les forces du mal camouflées dans un beau livre tout en papier glacé, pour nous éviter de commettre une grosse bêtise. Un seul mot : merci.

02 avril 2007

Policier de comptoir (de prêt) - 2

Si le coup de fil n'a rien donné (ou que je n'ai pas pu le passer : certains d'entre vous prétendent ne pas avoir de téléphone), il y a encore la visite à domicile. Comme le docteur.
C'est toujours un grand moment. Un de ces instants durant lesquels la pensée 'mais merde, pourquoi est-ce que je fais ça, je ne suis ni flic ni huissier?' me saisit au moins quelques secondes. Juste avant d'être annihiliée par un subtil mélange de conscience professionnelle et de regrets pour ces livres perdus. Ils ont été choisis et catalogués avec attention, leur place toute vide sur les rayonnages m'apparaît chaque jour plus insuportable. Je dois agir donc.

Samedi midi, en quittant la bibli, je fais un petit détour pour rentrer, histoire de voir si tu es chez toi. Miracle : ta boîte aux lettres, qui déborde pendant la semaine, est vide et une voiture stationne devant ta porte. Je sonne. Tu entrouvre l'huis et oses la tête par l'entrebâillement.

-'Bonjour, vous me reconnaissez?'
-'Euh, oui...j'ai des livres à vous?'
-'Effectivement....(reprise de ma tirade, voir post précédent. Remplacer 'je me permets de vous appeler', par 'je me permets de passer vous dire bonjour').

Là aussi, c'est assez efficace. Et plus rapide : je m'en vais avec les bouquins sous le bras. Et, oui, là aussi : usager perdu.

Musique

Juste ceci : lorsque les petits matins sont faciles, qu’ils ne demandent pas l’aide tonique des Tokyo Police Club ou des Klaxons, lorsqu’au contraire un peu de douceur s’avère bienvenue,
AaRON prend presque tout seul le chemin de mon autoradio. Quelque part entre les Tindersticks et Sophia, des mélodies calmes aux claviers omniprésents, jamais une note plus haute que l’autre : l’écouter en public vous fera immanquablement passer pour un triste sire. Là vous aurez beau argumenter, dire que, certes, ce n’est pas Philippe Lavil, mais que c’est simplement un brin mélancolique au même titre que ce roman de Philippe Claudel, ‘Les âmes grises’. Rien n’y fera : cette voix souple et grave, cette manière audible de reprendre son souffle entre deux couplets et ces textes aux sujets tristounets auront raison de votre défense. Qu’importe, vous vous le repasserez en boucle, parfois au casque : juste la voix, la musique et vous.

Aaron : Articifial Animals Riding on Neverland

27 mars 2007

Policier de comptoir (de prêt) - 1

Après la troisième lettre de rappel, si vous ne réagissez pas, il ne me reste plus beaucoup de recours. L'antépénultième, c'est le coup de fil. Le soir, vers 18h. Vous rentrez du boulot. Le téléphone sonne.
'Bonsoir, c'est la bibliothèque, je suis bien chez....?'
'Euh, oui...?'
Me répondre positivement est une erreur. Tu vas rapidement t'en rendre compte. Sur un ton que ma conscience professionnelle tente désespérément de conserver le plus neutre possible, mais que tu devines filigrané de reproches, je te déclame une tirade rodée à la perfection par de longues années de pratique. Un missile verbal propre à te gâcher la soirée :
'Voilà, je vous ai envoyé trois lettres de rappel. La dernière date d'il y a deux semaines, vos livres auraient dû être rentrés il y a trois mois déjà et comme vous ne réagissez pas, je me permets de vous appeler.'
Là, en général, il y a un blanc que je me garde bien de combler. Je peux pratiquement te voir : tu cherches une échappatoire, une excuse pas trop bidon. Surpris par cette agression téléphonique presque nocturne et d'une rapidité imprévue, ta vie vient de basculer. Te voilà revenu en enfance, devant le bureau de l'instituteur, sommé de t'expliquer sur le pourquoi de ce devoir non-rendu.
Au bout de quelques secondes, l'humanité se divise en deux catégories : ceux qui ont une réaction adulte ('vous avez raison, je vais remédier à cela, quels sont vos jours d'ouverture déjà?' - plutôt rare) et tous les autres, prompts à reporter la responsabilité sur leurs enfants, leur voiture en panne, une longue maladie ou mes horaires impossibles.
Le but recherché est toutefois souvent atteint : deux ou trois jours plus tard, les livres sont rentrés. Contrepartie négative pour les statistiques : un usager de moins. L'élagage ne se fait pas que dans les rayonnages.

14 mars 2007

Hygiène

Entendu ce matin dans la section 'fictions jeunesse', alors que, subrepticement et l'oreille aux aguets, je rangeais des bouquins en 'documentaires jeunesse' :

Schtroumpf A : 'Eh regarde, celui-là, il est tout nouveau nouveau!'
Shtroumpf B : 'Beuh non, je l'ai déjà vu la dernière fois qu'on est venus'
Schroumpf A : 'Ah bon...en tous cas, il est tout propre tout propre hein!'

13 mars 2007

Polars nordiques

Aucun des trois romans traduits en français d’Arnaldur Indridason ne présente la moindre faiblesse. Après avoir découvert le récent ‘La Voix’, il me semblait évident de lire les deux autres. Bien m’en prit. De nationalité islandaise, Indridason applique une recette imparable : parle de ce que tu connais. Il base donc son équipe très réduite –trois enquêteurs : deux hommes et une femme- à Reykjavik et ne lui laisse que peu d’occasion d’en sortir.
La parenté avec un autre auteur nordique bien connu (Henning Mankell) est évidente. Et les amateurs de l’un devraient normalement apprécier l’autre. Plus sec et plus concis, Indridason se concentre également sur un personnage de flic bourru et mauvais vivant : Erlendur. Célibataire harcelé par une fille à peine sortie de l’adolescence, il se dit lui-même mauvais père et exécrable époux : il a effectivement quitté sa famille alors que ses enfants étaient en bas âge. Les relations avec son ex-femme sont proches du conflit armé et il n’a aucun contact avec son fils. En sus, Erlendur traîne derrière lui une profonde blessure de jeunesse ainsi qu’une passion bizarre pour les livres consacrés aux personnes disparues. Au fil des trois intrigues, Indridason distille les révélations sur le passé d’Erlendur et sans doute nous en ménage-t-il d’autres pour les prochaines. Quoi qu’il en soit, chaque volume propose, avec une économie de moyens remarquable, une intrigue policière tendue comme un fil et riche en rebondissements et autres chausse-trappes. A l’inverse de Mankell, on ne croit jamais que la solution est proche pour ensuite déchanter, mais l’on se trouve brusquement face à des murs de questions et des changements de perspectives imprévus, induits par des révélations savamment distillées. Plus ramassées mais tout aussi denses que chez Mankell, les textes d’Indridason partagent un point commun avec ceux de leur confrère suédois : cette même empathie pour les victimes, ce constant questionnement du pourquoi face à une violence démesurée et, par-dessus tout, une volonté de présenter les évènements nus, sans fioriture ni interprétation morale.

Dans l’ordre : ‘La cité des jarres’ et ‘La femme en vert’ (déjà en ‘Points’ Seuil) et, récemment : ‘La Voix’, chez Métaillé.

12 mars 2007

Incomplet

J’ai bien vu que tu étais déçue. Un livre entièrement consacré aux ‘institutions spécialisées pour adolescents handicapés’, je n’avais pas. Par contre, le catalogue m’a sorti plusieurs références sur les handicapés, sur les instituts d’éducation spécialisés, sur les ados –en veux-tu, en voilà !- et même sur les adolescents handicapés. Mais non, définitivement non, à la bibliothèque du village, il n’y avait aucun bouquin dans lequel tu aurais pu trouver ton travail de fin d’étude déjà réalisé et prêt à être recopié. Pardon : aménagé pour qu’il paraisse de ta plume. Prendre le temps de compulser toutes les références que je t’ai soumises, et d’en tirer la ‘substantifique moelle’ était visiblement au-dessus de tes forces. Tu aurais pourtant pu en tirer quelque chose de réellement original. Et, pour peu que tu aies bien fait ton boulot, tu m’en aurais fait une copie, et la bibliothèque du village de voguer gaiement vers l’exhaustivité !

02 mars 2007

Blog

Très jolie participation de Manue au blog collaboratif 'Résidences des brindilles' (tout aussi joli nom de blog) sur le thème des livres non lus. En quelques lignes, tout est dit sur ces livres qui nous entourent au quotidien, sur lesquels nous veillons presque jalousement et que nous sommes bien résignés à ne pas tous lire.

26 février 2007

Indiscretion

"Les lettres semblaient rangées par date et, après avoir hésité, Erlendur en lut une. Il avait le sentiment de s'introduire par effraction dans un sanctuaire et en tirait une forme de honte. Comme s'il s'était posté à une fenêtre d'où il aurait épié les gens".
(Arnaldur Indridason, 'La femme en vert', Métaillé, 2006)
Idem pour moi, simple bibliothécaire et même pas inspecteur de police islandais, comme Erlendur. Idem lorsque je lis presque involontairement ces quelques lignes, griffonnées sur un signet oublié dans un livre. Ce ne sont souvent que quelques mots sans importance, mais pas toujours. Idem aussi quand il s'agit de trier ces caisses de dons que ton fils m'a apportées. Titre après titre, ces livres qui autrefois t'appartenaient, m'en disent plus sur toi que je n'en ai appris lors de notre unique rencontre. Tu n'avais sans doute jamais pensé qu'un jour je me retrouverais à les classer en deux piles n'est-ce pas? D'un côté les 'à garder' et de l'autre, ceux 'à évacuer'. Et moi, à chaque caisse que j'ouvre, je me sens comme Erlendur, un intrus dans ton univers.

24 février 2007

L'école de la réussite

Alors, celui-là, il habite juste à côté de la bib. Neuf ans à peine, c'est le plus jeune d'une lignée de 3 garçons, tous passés devant moi alors qu'ils fréquentaient l'école primaire. Pas très grand et plutôt rondouillard, le sourire désarmant qu'il affiche en permanence indique une bonne humeur constante et assez communicative. On dirait Gérard Jugnot enfant.
Pour lui, l'école du village, c'est terminé. Aujourd'hui, alors que c'est le congé de Carnaval, il vient me voir, les mains dans les poches et son bouquin -emprunté lors d'une visite de classe- sous le bras.
- 'Monsieur, je peux vous rendre le livre de l'école?'
- 'Euh, oui, bien sûr'
- 'C'est parce que maman veut que je change d'école, dans un autre village'
- 'Vous déménagez?'
- 'Non non, je vais seulement changer d'école. Je suis un peu en retard, je vais aller à X, là-bas, ils expliquent moins vite'.

13 février 2007

Trois polars de 2006

Tous trois chez Rivages. D’abord, ‘Little Girl Blue’ de David Cray. Au départ d’une enquête sur la mort d’une gamine retrouvée nue dans Central Park, l’inspectrice Julia Brennan va mettre au jour un réseau de pédophilie. Elle se rendra vite compte qu’elle n’est pas la seule à mener la chasse aux pédophiles new-yorkais : à chaque fois qu’elle croit en tenir un, elle ne tombe que sur son cadavre. Serait-ce Peter Foley, l’ancien flic spécialisé dans la prostitution enfantine et dont elle s’est adjoint les services, qui la précéderait, motivé par une haine toute personnelle ? Polar féministe –Brennan affronte le machisme ambiant propre à un corps de police et se trouve constamment mise sous pression par sa hiérarchie- ‘Little Girl Blue’ arrive à dépasser son sujet à priori glauque à souhait, pour le traiter avec humanité, sans effet de voyeurisme et en résistant à la tentation d’une auto-justice expéditive. Un excellent roman noir, ménageant suspense et psychologie des personnages. Dans un autre registre, ‘Le rêve des chevaux brisés’ de William Bayer met en scène David Weiss, dessinateur spécialisé dans les portraits-robots et les croquis pris sur le vif au cours de procès. C’est dans ce cadre que la chaîne de télé qui l’emploie l’envoie à Calista, la ville de son enfance. Couvrir un procès dans la ville où, 26 ans plus tôt, son propre père s’était suicidé constitue pour David l’occasion qu’il attendait depuis longtemps. Quelques jours avant ce suicide, un couple d’amants avait été tué dans une chambre de motel. La femme, Barbara Fulraine, était une personnalité bien connue de la bourgeoisie locale. Elle était également une patiente du père de David, psy de son état. Ce qui hante David, ce qui le pousse à tenter d’apporter un nouvel éclairage à cette affaire, c’est la relation qui existait entre son père psychologue, et Barbara Fulraine, qui venait régulièrement le consulter. Extraordinairement dense et complexe, ‘Le rêve des chevaux brisés’ baigne dans la psychanalyse. Ce fameux rêve des chevaux brisés, c’est celui qui venait régulièrement hanter Barbara Fulraine et qui la poussa à consulter –après bien d’autres- le père de David. Véritable nymphomane, Barbara n’avait de cesse de provoquer son psy, qui résistait tant bien que mal. Découvrant les carnets secrets de l’un puis de l’autre, David espérera y trouver la clé de l’affaire. Mais à Calista, même après 26 ans, plusieurs personnes ont encore intérêt à ce que la vérité reste dans l’ombre. Flirtant avec le portrait de société, ‘Le rêve…’ s’appuie sur de nombreux personnages, se mouvant dans cadre unique et entretenant des relations d’amour, de sexe et de haines petites-bourgeoises. Bayer brille par sa lucidité et son discernement : chez lui personne n’est tout gris ou tout noir, tous surnagent en demi-teintes, poussés par les circonstances, l’intérêt personnel ou les regrets. Un grand roman noir, sans temps morts et dont les traces restent longtemps vives à l’esprit.

Pour terminer, un anglais, parce qu’il faut bien l’admettre : aahhhh, le roman noir anglais !
Deuxième épisode (sur les trois prévus) du cycle consacré à Frank Elder, ‘De cendre et d’os’ de John Harvey, reste bien dans la veine du précédent (‘De chair et de sang’, 2005) : réaliste et tortueux, mais surtout d’une extrême fluidité, principalement à mettre au compte d’une abondance de dialogues. Dialogues qui n’ont pas -comme trop souvent dans les gros pavés américains- ce côté superficiel et facile dû à une maîtrise imparfaite du style indirect. Ici, pas un seul mot de trop, pas une seule faute dans le ton adopté : chaque mot, chaque ligne ont leur utilité stricte. A son habitude, et cela s’est vu dans ses précédentes œuvres consacrées à l’inspecteur Resnick (que Elder croise d’ailleurs régulièrement), Harvey ne néglige ni la psychologie de ses personnages (très nombreux et pourtant tous rapidement identifiables) ni leur cadre social (les années Thatcher n’ont pas encore été digérées). Bien que retraité, Elder se voit régulièrement appelé à la rescousse par son ancien collègue des affaires non-résolues. C’est l’assassinat d’une flic qui va cette fois sortir Frank de sa petite maison sur la côte. Maddy Birch et lui ne se connaissaient pas particulièrement bien. Mais ils avaient failli. Failli avoir une liaison et donc, sa mort violente ne peut que toucher Elder au plus profond. Lorsqu’on lui signale que l’enquête piétine, Elder n’hésite pas longtemps à prendre son billet pour Londres. Là, il sera non seulement confronté à ce crime sordide et aux ramifications insoupçonnées, mais il devra également se résigner à affronter sa fille Catherine. Cette dernière, impliquée malgré elle dans la dernière enquête de Frank, refuse depuis lors tout contact avec lui. Parfaitement construits et passionnants de bout en bout, les romans de John Harvey ne déçoivent jamais, ils peuvent parfois laisser un goût amer. Celui de l’injustice face à laquelle la meilleure volonté ne peut rien.

"Little girl blue" de David Cray, Rivages/Noir, 2006
"Le rêve des chevaux brisés" de William Bayer, Rivages/Noir, 2006.
"De cendre et d’os de John Harvey", Rivages/Thriller, 2006

Sur David Cray : une interview
Sur William Bayer : son site
Sur John Harvey : un dossier, une interview et son site officiel