30 mai 2009

Retraite

Dans mon village, à douze ans, on passait par la 'grande communion'. J'en garde quelques souvenirs, notamment ceux d'une messe et des familles de mon père et de ma mère réunies. Souvenirs ravivés par une photo de mon frère et moi en tenue d'apparat, photo que je ne ressors que les grand soirs, ceux où l'auto-dérision, galvanisée par l'ingestion immodérée de Bergerac, l'emporte sur ma pudeur naturelle. Précédant ce jour ensoleillé de mai, il y eut trois jours de 'retraite' donc, en fait trois jours durant lesquels nous étions conviés, nous les futurs communiants, à nous ressourcer en compagnie du curé du village. Ce furent surtout trois jours d'amusement, de construction de cabanes et de cache-cache aux alentours de la cure, de son jardin et du cimetière tout proche. Trois jours entre amis qui se connaissaient depuis plusieurs années et qui saisirent à pleines mains cette occasion de passer ensemble un peu de temps hors de la surveillance de leurs parents. Trois jours sans télé, à jouer et à papoter de tout et de rien. Hormis les recommandations du curé, ce furent, à notre échelle d'enfants, trois jours remplis d'essentiel.

Je m'appelle Nescio, j'aurai 42 ans dans quelques jours. Je suis bibliothécaire à M. et aussi à M., deux communes du Condroz, sur les hauteurs de Huy. En commençant ce blog il y a trois ans, j'avais une assez bonne idée de ce que je voulais y mettre. Il s'agissait avant tout de témoigner du quotidien d'un bibliothécaire de village, et d' exprimer à quel point ce quotidien m'habitait, à quel point il était ce que je suis, ce que j'étais destiné -sans que ce soit pour autant une évidence dès le début de ma carrière- à devenir et comment, en arrivant ici au milieu des années '90, j'avais, petit à petit, été gagné par le sentiment d'avoir trouvé ma place. Ma place.

Les billets coulaient de source et, à mon grand étonnement, les réactions et les débats qu'ils suscitaient leurs donnaient une dimension imprévue. Mon expérience acquérait certains jours une portée plus large, chaque lecteur se positionnant selon son vécu ou sa manière d'interpréter mes écrits. Les échanges furent parfois vifs, mais ils ne dépassèrent que fortuitement la limite du savoir-vivre. Je crois sincèrement qu'une camaraderie est née ici et que, même si certains jours les échanges pouvaient confiner au 'débat d'initiés', jamais la porte n'a été fermée à quiconque désirait intervenir. Ces commentaires, aussi concis ou dithyrambiques qu'ils furent, vont me manquer.

Il y a plus d'un an à présent que nous sommes deux à la bibliothèque et, lorsqu'elle est ouverte au public, ce n'est plus nécéssairement moi que les gens trouvent derrière le comptoir de prêt. Le quotidien est devenu plus léger, l'urgence s'est raréfiée et pour rien au monde je ne voudrais revenir en arrière. Evidemment, il s'y passe toujours quelque chose, mais j'ai de moins en moins l'envie de raconter. Non pas que cela ne me touche plus ou que j'aie perdu le feu sacré : je suis tout simplement persuadé d'être arrivé à un stade où tout ce que je pourrai publier ici -à moins de changer entièrement de sujet ou ne plus vous livrer que des compte-rendus de lecture- aura le goût, l'odeur et la couleur du déjà vu. Les dons, les lecteurs en retard, les gentillesses et les vacheries, bien sûr, tout cela continue, mais en témoigner encore, avec d'autres mots peut-être, quel intérêt? Rien à dire? Tais-toi. Même si c'est pour le dire joliment.

Il y a encore ceci qui se confirme : internet m'ennuie et mes racines campagnardes reprennent tout doucement le dessus. Plus je décape, je repeins ou je cimente, plus je m'accorde d'heures de lecture -plus je ressemble à mon père- plus je passe de temps en famille et avec des amis, et mieux je me sens. A mon échelle d'homme dans le début de sa quarantaine, c'est tout simplement là que se trouve mon essentiel.

Je m'appelle Nescio, j'aurai 42 ans dans quelques jours. Je suis bibliothécaire.

21 avril 2009

Le stagiaire

Lorsqu'il aura terminé sa rétho, il veut 'faire romanes'. Voilà pourquoi sa maman a pensé que quelques jours de boulot à la bibliothèque du village lui conviendraient. Pas facile de trouver un lieu de stage en dernière année d'humanités. Je ne sais plus exactement comment son école appelle ça : 'première expérience en entreprise' ou une ânerie de ce genre. Alors, quand le monde de l'entreprise refoule les pauvres petits étudiants sans bagage professionnel, vers qui se tourne-t-on?
Comme il n'habite pas loin et que sa tête me revenait plutôt bien, j'ai accepté. Après tout, il ne s'agissait que d'une trentaine d'heures et ma collègue pourrait, elle aussi, s'en occuper.
Même s'il ne s'est pas révélé le plus fainéant ou le moins éveillé des stagiaires qui ont marqué ces lieux de leur indélébile empreinte, ses limites en terme de concentration nous ont très vite sautées aux yeux. D'une distraction à toute épreuve, il laissait derrière lui un impressionnant sillage d'erreurs et d'oublis, aussi variés que les tâches que nous nous efforcions de lui confier.
Curieusement, l'heure de la pause de midi échappait à cette fâcheuse tendance. Et, plus particulièrement, le moment où, ayant terminé son repas, il me demandait l'autorisation d'aller 'faire un petit tour dehors'. Pourquoi refuser? Une bonne bouffée de fraîcheur n'aurait-elle pas pu lui booster les neurones?
En fait de bouffée, son haleine me renseignat un jour que, d'évidence, l'air qu'il inhalait durant ces petites balades devait être très pauvre en oxygène. Tolérant comme vous me connaissez, je me retins de lui faire la morale, me contentant de lui demander s'il ne pouvait pas lui-même établir un lien entre ses difficultés de concentration et les substances illicites qu'il s'envoyait en baguenaudant sous le soleil printanier.
Tout sourire (et pour cause...), il me répondit que depuis son plus jeune âge, sa distraction avait fait de lui un cas irrécupérable et que ce n'était certainement pas la fumette qui allait agraver son cas.
Bon, me suis-je dit, au moins, ma première impression sur ce garçon n'était pas fausse. Un tel aplomb force au minimum le respect, si pas la sympathie.

27 mars 2009

La tache brune, en haut à gauche


Dans cette bible des bonnes manières datée de 1915 et découverte parmi un récent arrivage de dons, un intéressant chapitre intitulé 'Devoirs envers les choses'. Tout un programme. Premier paragraphe, les livres :

"Le livre est le porte-parole qui établit entre deux inconnus, l'auteur et le lecteur, un échange de pensées. A ce titre il mérite politesse et considération. Ne le maltraitez donc point, le déchirez pas, ne l'abimez pas; gardez-vous de déshonorer ses marges en le coupant sans précaution, de vous servir de lui pour éteindre votre bougie le maculant ainsi d'affreuses taches de graisse, de tourner ses feuillets, -oh! cela est horrible- en mouillant de salive le bout de l'un de vos doigts, de l'ouvrir violemment sans souci de rompre les fils qui l'assemblent, de corner le coin de la page où vous vous êtes arrêté au lieu d'y placer un signet. Respecter le vêtement du livre car c'est souvent celui d'un ami, et, autant que cela vous paraît possible, assurez sa conservation en le faisant cartonner ou relier. Que dirais-je des livres prêtés! Rien de plus malhonnête que de les perdre ou de les rendre dans un état lamentable."

Dans un constant souci de perfection, j'avais rapatrié l'ouvrage chez moi. Quelques leçons de savoir-vivre ne sauraient me faire de mal. En toute logique, je l'avais déposé sur le bureau, à côté d'autres lectures en attente. Le félin malade du cerveau qui squatte mon habitation passa par là. Parmi tous ces bouquins, sur lequel croyez-vous soulagea-t-il son estomac, trop plein sans doute d'un repas avalé à la hâte?

20 mars 2009

Tout doucement, ça se précise





Depuis presque un mois, les demandes se succèdent. Une biographie d'un 'Juste'. Lequel? Ce serait à nous de le déterminer, évidemment. Faudrait pas qu'ils se fatiguent non plus. Personnellement, à chaque fois, je prends un malin plaisir à proposer Oscar. Celui-là même qu' il y a quelques années, Steven fit revivre sous les traits du grand Liam. Mais bon, à chaque fois que je propose le nom, le demandeur me répond : 'c'est déjà pris'. J'entends bien, mais alors, à eux de me soumettre un autre nom, non?

Celle-ci, la quinzaine vraiment sûre d'elle, me demande tout de go une bio de Yad Vashem. Suffisait d'y penser. Nul doute que l'institut chargé de la mémoire des 'Justes' porte le nom de l'un d'entre eux. Le plus illustre même. D'ailleurs, quand elle a posé la question à sa prof, celle-ci n'a pas démenti.

L'ignorance et la biestrèye gagnent du terrain. Et j'ai de plus en plus de mal à l'encaisser. La voie se dégage pour Dieudonné et Benoît. J'aurais bien envie de citer Renaud tiens. Vous savez, cette chanson qui commençait par 'Je voudrais que mes chansons soient des caresses ou bien des poings dans la la gueule...'

16 février 2009

Scier la branche

"Cependant, un nouveau gouverneur était arrivé au pouvoir dans cet état et, très vite, il se fit connaître. Il exigea d'abord que la bibliothèque portât le nom de Fidencio Arriaga, un leader syndical enseignant qui avait été poignardé lors d'une échauffourée, et il envoya à cet effet un panneau métallique (...). Puis, il demanda à chaque directeur de bibliothèque, en vue d'une meilleure utilisation des ressources, d'envoyer un rapport trimestriel sur le nombre de visiteurs, les livres prêtés, les livres perdus ainsi que les encyclopédies consultées. Lucio n'avait pas besoin de registre pour remplir ce rapport, car, au début, il avait en moyenne trois lecteurs par semaine, tous élèves de l'école d'Icamole et tous dans le but de consulter l'encyclopédie. Quand il décida d'offrir l'encyclopédie à l'école, il perdit tout espoir de voir quelqu'un entrer chercher un livre. Après le troisième rapport, Lucio reçut la notification officielle que, dès lors, la bibliothèque Fidencio Arriaga était définitivement considérée comme fermée et donc qu'il ne recevrait plus de livres ni la somme allouée à son activité. Lucio envoya une lettre pleine de colère aux autorités de l'Etat, déclarant que si l'eau est d'autant plus nécessaire en plein désert, comme la médecine l'est à la maladie, les livres sont d'autant plus indispensables là où personne ne lit. "

("El Ultimo Lector"de David Toscana, Zulma, 2009)

28 janvier 2009

Cruel monde du livre

- Bonjour, je voudrais 'Tombé des nues', mais je ne sais plus l'auteur...
Pianote pianote sur le clavier. Le titre ne me dit rien, mais bon, au gré du temps qui passe et des bouteilles de vin bio qui repassent, la mémoire du système informatique gagne des points.
- Ah, on l'a, c'est de Delperdange, en Espace Nord Jeunesse...
Je me lève, tour du comptoir, quelques mètres encore et hop, je lui tends presque fièrement...

- Ah non, c'était pas ce dessin-là sur la couverture.
Vérification des dates d'édition.
- C'est possible, je vois que c'est une réédition et en plus, je crois que la mise en page de cette collection a été revue. C'est sûrement le même texte, mais avec une autre couverture.
- Non non, je le prends pas, c'est pas ça, j'ai commencé à lire celui de madame, je vois bien que c'est pas ça...
- Si tu as commencé à le lire, tiens, regarde la première page et dis-moi si ça te dit quelque chose...
Elle parcourt distraitement quelques lignes.
- Hum, oui, ça a l'air d'être ça.
Après avoir soupesé l'objet encore et encore, l'avoir tourné et le retourné, elle finit par vérifier le nombre de pages. Et là, subitement, son visage jusqu'ici fermé, s'éclaire d'un sourire où perce toute l'innocence de son jeune âge. Pas de doute, une bonne nouvelle s'annonce.
- Cool, c'est le même, mais il y a moins de pages!

27 janvier 2009

Evidence

"L'après-midi est déjà bien avancée lorsque entre le lieutenant Aguilar. Il déambule un instant sans parler entre les étagères en bois, il traîne des pieds, avec un bruit de papier de verre à cause du sable collé à ses semelles. Un bibliothèque à cet endroit, dit-il en parcourant la pièce du regard (...). Ils n'ont pas de médecin, mais ils ont des livres (...) De son bureau, Lucio feint à présent de sourire (...) Il décide de ne pas se lever pour le saluer, parce que dans son échelle de valeurs un bibliothécaire vaut plus qu'un agent de police."

(El Ultimo Lector / David Toscana; Zulma, 2009)

19 janvier 2009

Sous l'eau

Ce n'est même pas que ça déborde. Ca recouvre tout. Impossible de travailler correctement. Chaque tâche s'effectue dans l'urgence. Les obligations déboulent de partout. Rapport annuel à droite, évaluation de projet pluriannuel à gauche, mise en place d'un nouveau service au centre.
S'annoncent également des dossiers de renouvellement de mobilier et la quête d'un nouveau système informatique. Et pendant ce temps-là, aucun lecteur ne se repose. Ils semblent tous possédés par la fièvre de la dernière nouveauté qu'ils voudraient tous lire là, maintenant, tout de suite.
'Quoi? Les bouquins ne sautent pas directement des rayons de la librairie dans les vôtres?'

Il y a des jours où je voudrais être aide-bibliothécaire, prester mes petites heures, obéir aux ordres et me plaindre de mon chef.