"...et là, apportant une contribution exemplaire, pavlovienne, à notre soirée, le micro rend l'âme. Il meurt de cette façon péremptoire qu'ont les objets de nous claquer d'un coup entre les doigts, en nous signifiant que cette fois, il ne s'agit pas d'un caprice, d'un défaut auquel on peut remédier en bricolant, ou d'une panne qu'on peut réparer, mais bien d'un fameux Evénement Inéluctable qui tôt ou tard survient pour tout objet en fonctionnement dans notre univers. Une mort, justement : un trépas. La chose est si claire que personne ne tente un geste pour le ranimer, pas même le type à l'allure de lémurien qui tournicote dans la salle avec l'air d'en être le responsable et qui, au signe interrogateur que lui adresse la présidente, répond en secouant sa grosse tête chauve."
(Sandro Veronesi, 'Chaos Calme', Grasset, 2008)
Avancer dans 'Chaos calme', et y trouver ce mélange de profondeur et de détachement que l'on ne s'attendait pas y trouver, quel plaisir. L'humour m'a moins pris par surprise : mon libraire m'en avait touché un mot. Il avait par contre omis de me parler de l'un des thèmes principaux. A savoir, la correspondance que nous établissons -peut-être parfois abusivement- entre deux événéments pourtant bien distincts de notre quotidien. Ou encore, le reflet d'un fait réel que nous croyons voir dans l'oeuvre d'un écrivain ou d'un chanteur, oeuvre qu'il nous est presque simultanément donné de lire ou d'entendre...
Pietro, le narrateur, ne peut-il ainsi s'empêcher de trouver des échos à ce qu'il vit dans certaines paroles de Radiohead : sa femme meurt d'une rupture d'anévrisme et quelques temps plus tard, il perçoit cette phrase dans l'une de leurs chansons : 'we are accidents waiting to happen'. Il roule trop vite dans les rues sinueuses de Milan et Thom Yorke lui intime 'hey man, slow down, slow down...'. Jusqu'à cette scène où, au beau milieu d'une conférence sur la mort à laquelle il regrette d'assister, le micro de l'orateur décède inopinément. Destin? Hasard? Karma?
Quelques heures avant de lire ce fameux passage, j'étais tranquillement là, à cet endroit d'où je vous écrit en cet instant et, tout aussi péremptoirement -et définitivement : j'ai dû en racheter un autre- que le micro de Veronesi, mon modem me lâchait, me coupant du monde virtuel.