RetraiteDans mon village, à douze ans, on passait par la 'grande communion'. J'en garde quelques souvenirs, notamment ceux d'une messe et des familles de mon père et de ma mère réunies. Souvenirs ravivés par une photo de mon frère et moi en tenue d'apparat, photo que je ne ressors que les grand soirs, ceux où l'auto-dérision, galvanisée par l'ingestion immodérée de Bergerac, l'emporte sur ma pudeur naturelle. Précédant ce jour ensoleillé de mai, il y eut trois jours de 'retraite' donc, en fait trois jours durant lesquels nous étions conviés, nous les futurs communiants, à nous ressourcer en compagnie du curé du village. Ce furent surtout trois jours d'amusement, de construction de cabanes et de cache-cache aux alentours de la cure, de son jardin et du cimetière tout proche. Trois jours entre amis qui se connaissaient depuis plusieurs années et qui saisirent à pleines mains cette occasion de passer ensemble un peu de temps hors de la surveillance de leurs parents. Trois jours sans télé, à jouer et à papoter de tout et de rien. Hormis les recommandations du curé, ce furent, à notre échelle d'enfants, trois jours remplis d'essentiel.
Je m'appelle Nescio, j'aurai 42 ans dans quelques jours. Je suis bibliothécaire à M. et aussi à M., deux communes du Condroz, sur les hauteurs de Huy. En commençant ce blog il y a trois ans, j'avais une assez bonne idée de ce que je voulais y mettre. Il s'agissait avant tout de témoigner du quotidien d'un bibliothécaire de village, et d' exprimer à quel point ce quotidien m'habitait, à quel point il était ce que je suis, ce que j'étais destiné -sans que ce soit pour autant une évidence dès le début de ma carrière- à devenir et comment, en arrivant ici au milieu des années '90, j'avais, petit à petit, été gagné par le sentiment d'avoir trouvé ma place. Ma place.
Les billets coulaient de source et, à mon grand étonnement, les réactions et les débats qu'ils suscitaient leurs donnaient une dimension imprévue. Mon expérience acquérait certains jours une portée plus large, chaque lecteur se positionnant selon son vécu ou sa manière d'interpréter mes écrits. Les échanges furent parfois vifs, mais ils ne dépassèrent que fortuitement la limite du savoir-vivre. Je crois sincèrement qu'une camaraderie est née ici et que, même si certains jours les échanges pouvaient confiner au 'débat d'initiés', jamais la porte n'a été fermée à quiconque désirait intervenir. Ces commentaires, aussi concis ou dithyrambiques qu'ils furent, vont me manquer.
Il y a plus d'un an à présent que nous sommes deux à la bibliothèque et, lorsqu'elle est ouverte au public, ce n'est plus nécéssairement moi que les gens trouvent derrière le comptoir de prêt. Le quotidien est devenu plus léger, l'urgence s'est raréfiée et pour rien au monde je ne voudrais revenir en arrière. Evidemment, il s'y passe toujours quelque chose, mais j'ai de moins en moins l'envie de raconter. Non pas que cela ne me touche plus ou que j'aie perdu le feu sacré : je suis tout simplement persuadé d'être arrivé à un stade où tout ce que je pourrai publier ici -à moins de changer entièrement de sujet ou ne plus vous livrer que des compte-rendus de lecture- aura le goût, l'odeur et la couleur du déjà vu. Les dons, les lecteurs en retard, les gentillesses et les vacheries, bien sûr, tout cela continue, mais en témoigner encore, avec d'autres mots peut-être, quel intérêt? Rien à dire? Tais-toi. Même si c'est pour le dire joliment.
Il y a encore ceci qui se confirme : internet m'ennuie et mes racines campagnardes reprennent tout doucement le dessus. Plus je décape, je repeins ou je cimente, plus je m'accorde d'heures de lecture -plus je ressemble à mon père- plus je passe de temps en famille et avec des amis, et mieux je me sens. A mon échelle d'homme dans le début de sa quarantaine, c'est tout simplement là que se trouve mon essentiel.
Je m'appelle Nescio, j'aurai 42 ans dans quelques jours. Je suis bibliothécaire.