27 janvier 2009

Evidence

"L'après-midi est déjà bien avancée lorsque entre le lieutenant Aguilar. Il déambule un instant sans parler entre les étagères en bois, il traîne des pieds, avec un bruit de papier de verre à cause du sable collé à ses semelles. Un bibliothèque à cet endroit, dit-il en parcourant la pièce du regard (...). Ils n'ont pas de médecin, mais ils ont des livres (...) De son bureau, Lucio feint à présent de sourire (...) Il décide de ne pas se lever pour le saluer, parce que dans son échelle de valeurs un bibliothécaire vaut plus qu'un agent de police."

(El Ultimo Lector / David Toscana; Zulma, 2009)

9 commentaires:

Yvonnic a dit…

"dans son échelle de valeurs un bibliothécaire vaut plus qu'un agent de police."

Mmh...Sous la citation littéraire, je perçois l'odeur agréable de la discrète provocation qui mène au débat constructif. Je commence à le connaître, mon Nescio. C'est un manoeuvrier subtil. Il lance la baballe et nous la faisons rebondir...

Chacun vaut ce qu'il vaut dans son propre métier. Je prefère être défendu contre un voyou par un policier compétent que par un excellent bibliothécaire. Par contre il se peut qu'un policier me donne un jour un conseil de lecture, rien n'est impossible de nos jours. Un bon bibliothécaire-médiateur peut aussi me donner un conseil d'ordre judiciaire.

Mais c'est bien banal tout ça. Elargissons le débat sur l'image des bibliothécaires dans la littérature. C'est pas tristounet non plus : Le littérateur Charles Monselet affirmait, dans La Bibliothèque paru en 1859, l’axiome suivant : " Tout bibliothécaire est ennemi du lecteur ". Et cette image fut effectivement la nôtre pendant longtemps, et jusqu'à des temps récents. A preuve ce florilège d'extraits d'oeuvres de nos meilleurs auteurs.

Qui a dit : " Le bibliothécaire était un rustre incompétent, insolent et d’une laideur éhontée, placé sur le seuil pour effrayer par son aspect et son aboiement les candidats à l’entrée " ? C'est Primo Levi,un lettré et un ami des bibliothèques s’il en est,( et ce sont des souvenirs autobiographiques puisqu’il s’agit du Système périodique.)

Les femmes-bibliothécaires ne sont pas oubliées par le même Primo Levi :" Mademoiselle Paglietta, la malheureuse, n’était guère moins qu’un lusus naturae : elle était petite, sans poitrine et sans hanches, cireuse, rabougrie et monstrueusement myope. Paglietta me demanda pourquoi je voulais précisément le Kerrn, elle voulut voir ma carte d’identité, l’examina d’un air malveillant, me fit signer sur un registre et ne m’abandonna le volume qu’à regret. "

Et comble du comble, même ceux qui aident vraiment le lecteur sont mal vus : ce sont des fous, des monomaniaques du rangement. A preuve cet extrait délirant : " Je me trouve face à face avec le responsable de la bibliothèque en personne. Il a l’air affable et calme mais, après lui avoir dit ce que je cherche, je découvre que j’ai affaire à un passionné masqué. Le Zorro des parchemins et des incunables. Il doit connaître par coeur l’emplacement de tous les livres – c’est effarant à penser – car il s’arrête sans la moindre hésitation au milieu d’un rayonnage de vingt mètres, tend la main avec précision, et en sort un grand livre plat, relié pleine peau, qu’il me tend. Je le prends avec délicatesse. Je feuillette le volume qui ne comporte que quelques pages.Je lève les yeux sur le bibliothécaire en chef. Il regarde les tranches des livres proches et a l’air en extase. Un passionné, indubitablement "
(Christian Poslaniec, Les Fous de Scarron, le Masque, 1990).

Et voici le pire : " Avec leurs lunettes sur le nez, ils sont par leurs défauts physiques des caricatures de choix, affublés de déficience sexuelle et de fragilité mentale. Leur avidité de lecture est égale à leur haine du prochain, et dans leur zèle, certains vont, le week-end, jusqu’à inventorier leur réfrigérateur. “Silence !” est leur devise. " (John Frylinck)

Autre exemple, extrait de "Si par une nuit d’hiver un voyageur", d’Italo Calvino :
" Tu remplis une première fiche et la remets ; on te signale qu’il doit y avoir une erreur de numérotation dans le catalogue, car on ne trouve pas le livre ; au reste, on fera des recherches. Tu en demandes aussitôt un autre : on te répond qu’il est en lecture, mais on ne peut retrouver qui l’a demandé ni quand. Le troisième que tu demandes est à la reliure. Il en reviendra dans un mois. Le quatrième est conservé dans une aile de la bibliothèque présentement fermée pour travaux. "

Roubaud atteint le fantastique en décrivant les stratégies de la Bibliothèque, entité globale douée de vie et de volonté, pour ne pas communiquer le livre demandé par le lecteur.
" La première stratégie donc était la stratégie de l’erreur, dont une variante était l’envoi du bon ouvrage à un autre lecteur. On voyait ainsi dans l’allée centrale de la salle de lecture des chercheurs fébriles essayant d’échanger, en des échanges souvent triangulaires, un ouvrage sur la cuisine pygmée contre l’édition originale des Prolegomena rythmorum du père Risolnus. Mais il y avait un échelon supérieur dans la dissuasion : c’était l’emploi d’une arme particulièrement redoutable, la panoplie des réponses dilatoires que les magasins envoyaient au lecteur par l’intermédiaire de son propre bulletin de demande ; ces réponses pouvaient prolonger la lutte pendant plusieurs journées. Il n’y avait rien pour vous ; une demi-heure supplémenaire passait. Vous receviez alors votre bulletin de commande généralement chiffonné, portant l’indication « manque en place ». Le lendemain vous redemandiez l’ouvrage ; la réponse était cette fois : « cote à revoir ». Le troisième jour, c’était : « à la reliure » et enfin le quatrième, par un raffinement de cruauté dont on appréciera toute la saveur : « communiqué à vous-même le… » et suivait alors la date de votre première demande. Les bibliothécaires essayaient de vous consoler et vous lisiez dans leur regard apitoyé le jugement sans appel : le malheureux, elle a encore frappé ! " Un beau texte en tous cas.

Et enfin le plus fort texte, pour moi, reste celui qui decrit le Bibliothécaire de Musil (L'Homme sans qualités), dans son dialogue avec le général, ce qui rejoint un peu ta citation première :
" Le secret de tout bon bibliothécaire est de ne jamais lire, de toute la littérature qui lui est confiée, que les titres et la table des matières.
“Celui qui met le nez dans le contenu est perdu pour la bibliothèque !” m’apprit-il. “Jamais il ne pourra avoir une vue d’ensemble !”
Le souffle coupé, je lui demande : “Ainsi, vous ne lisez jamais un seul de ces livres ?
– Jamais, à l’exception des catalogues.
– Mais vous êtes bien docteur, n’est-ce pas ?
– Je pense bien. Et même privat docent de l’Université pour le bibliothécariat. La science bibliothécaire est une science en soi, m’expliqua-t-il. Combien croyez-vous qu’il existe de systèmes, mon Général, pour ranger et conserver les livres, classer les titres, corriger les fautes d’impression etc. ? » (Rappelons que Musil fut bibliothécaire). Pierre Bayard reprend dailleurs, en la developpant, cette image dans son livre " Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ", Ed. de Minuit.

Toutes ces images caricaturales trouvent finalement leur achèvement dans la description du bibliothécaire du Nom de la Rose d'Eco: celui qui ne VEUT pas transmettre le savoir, au fond, puisque le moine- bibliothécaire est evidemment le coupable du meurtre, d'une part. Et surtout il interdit l’accès au savoir et finira même par manger le livre qu’il veut interdire, avant de mettre le feu à la bibliothèque et à l’abbaye. Et la boucle du bibliothécaire-ennemi de la transmission est bouclée.

On peut dire que sur l'échelle des valeurs de tous ces ecrivains, le bibliothécaire n'atteignait pas même le premier barreau...

Pour l'élite culturelle l'accès à la culture ne supposa évidemment jamais la médiation parasite du fonctionnaire.

l'après-guerre arriva la-dessus, la culture se démocratisa,les vieux messieurs cultureux disparurent avec un ricanement figé sur leurs lèvres de poussière, les masses envahirent nos espaces désormais libérés, pleines d'espoir et de de désir, le monde zornien finissait, le nôtre commençait dans des rires d'enfants découvrant des livres d'images...

Yvonnic

NB Si ça t'intéresse, tout ça se trouve dans une étude plus vaste sur l'histoire des bibliothécaires publiée en 2003 à Lyon par l'Enssib et reprise en partie dans "Drôles de bibliothèques... : le thème de la bibliothèque dans la littérature et le cinéma, de Chaintreau et Lemaître, Éditions du Cercle de la Librairie, 1993

Anonyme a dit…

Pauvre nouille. Combien de fois faut-il vous le répéter : ceux qui veulent "démocratiser" la culture se prennent *eux-mêmes* pour une élite.

Et s'ils démocratisent du Harry Potter et du Polaaaaar, c'est pour mieux dissimuler la véritable culture et la confisquer à leur usage. Toi y en a enfin comprendre Tonton Yvonnic ?

Vous avez oublié Bartleby dans votre galerie de bibliothécaire.

Rions un peu :

http://www.youtube.com/watch?v=YeHnjwSMyIQ

Zorn

Yvonnic a dit…

Pauvre nouille vous-même, grossier personnage !
Travaillez-donc un peu au lieu de vous répéter depuis des années dans vos invectives de poivrot.

1) définissez-nous une bonne fois "la veritable culture", ou cessez d'en parler !
2) Donnez-nous un exemple de "confiscation de cette culture plus vraie que les autres par les élites auto-proclamées " ou cessez de geindre!

Je persiste : le temps des érudits et des lieux réservés est terminé. Le vôtre aussi. Et Tonton Yvonnic le Nounouille vous dit ce que Cro-magnon déclara probablement à Neandertal quand il le rencontra : Casse-toi, pauvre con ! Et Neandertal disparut à jamais.

Et si vous comptez nous faire rire avec le surréalisme (tiens, celui-là vous sied, Maître ?) des Monty Python, sachez qu'il fait aussi rire les masses populaires depuis toujours (mais probablement pas pour les mêmes hautes raisons que vous, Maître...)

Et quittez ce métier une bonne fois pour toutes, vous nous l'aviez presque annoncé ! Je pressens une forte déception des masses populaires...

Excusez-moi j'ai une animation-conte sur les pirates à 14h.

Yvonnic, Barbe Noire

nescio a dit…

Yvonnic : oui, ce n'était qu'une citation un peu 'provocatrice'...et évidemment, je n'adhère pas plus que toi à son contenu. Elle m'a fait sourire, et je voulais aussi mettre ce bouquin, paru il y a quelques semaines, en évidence. Une autre citation, plus longue, est prévue. Merci en tous cas pour toutes celles avec lesquelles tu as embrayé...Et je ne pense pas que le 'pauvre nouille' de Zorn était vraiment méchant. Il ne fallait quand même pas s'attendre à ce qu'il abonde dans ton sens, hmmm?

eric1871 a dit…

Je vais poursuivre ici le débat commencé plus bas (forme du blog oblige) : je ne comprends pas.

Je ne comprends pas comment on peut soutenir qu'il y a une haute culture et que les bibliothécaires auraient encore la culture de la conservation et ne nourriraient le bas peuple que de sous produits (on est effectivement dans Le Nom de la Rose là), soutenir cela donc et ne pas reconnaître que nos médiathèques d'une part répondent à autre choses (être des lieux ressources notamment), tout en mettant à disposition de tous (en pas dans des magasins fermés aux publics), toutes ces oeuvres autrefois destinées à l'élite...

D'un autre côté, je ne crois pas à la mainmise du bibliothécaire sur le contenu des rayonnages, mais je pense que la bibliothèque, ou la médiathèque, finit par devenir une entité en soi dont les fonds témoignent de l'histoire, des gens qui y ont travaillé (et de ceux qui l'ont utilisée), des politiques d'acquisition successives...

Lorsque j'habitais une grande métropole, je fréquentais les diverses bibliothèques pour des raisons différentes (jusqu'à une dizaine de lieux à un moment), aujourd'hui, dans une petite ville ou les librairies ne sont pas rentables, je suis convaincu que des livres (et des disques) ne seraient sans doute pas arrivé jusqu'ici s'ils n'étaient à la médiathèque.

Anonyme a dit…

Cher Yvonnic,

Sachez que je ne bois jamais d'alcool. De plus, j'aime jeûner. La faim et la sobriété maintiennent en alerte.

Quitter ce métier? Oh, vous me brisez le coeur quand vous dites ça...

D'abord, ça ferait trop plaisir à trop de petits cochons tout roses, avec un groin tout humide, des petits yeux vicieux et une toute, toûûûûte petite queue tirebouchonnée.

Et puis, il me reste tant d'ââânimations à réaliser. Ah, si vous saviez de quoi je vais leur parler la prochaine fois! Si, si...

Ensuite, cher Yvonnic, ce métier, vous le quitterez certainement avant moi. Bientôt la retraite, non ?

Grouïk, grouïk ?

Zorn

Yvonnic a dit…

Mon pauvre Zorn, votre solitude intellectuelle devient aussi effrayante que votre paranoïa.Et vos cochons roses ne feraient même plus sourire un attardé mental. L'ennui naquit un jour de l'uniformité, disait quelqu'un. Vous devenez tout bonnement ennuyeux, mon petit Zorn.Et c'est bien le pire qui puisse vous arriver, notamment sur ce blog.

Puisque vous ne répondez pas à mes questions, essayez au moins de répondre aux interrogations d'Eric, le premier ici, à part moi, à penser qu'un débat est possible avec vous et à tenter courageusement l'experience d'une conversation argumentée avec un cafard.

Savez vous qu'il est fort possible que vous partiez au chômage avant que je sois en retraite? L'Occulte est si puissant et ses tentacules si longues....

Yvonnic

Anonyme a dit…

http://www.youtube.com/watch?v=mflSbJLPlwk

Z.

Anonyme a dit…

Merci pour cette information interessante