29 mai 2008

Reflets


"...et là, apportant une contribution exemplaire, pavlovienne, à notre soirée, le micro rend l'âme. Il meurt de cette façon péremptoire qu'ont les objets de nous claquer d'un coup entre les doigts, en nous signifiant que cette fois, il ne s'agit pas d'un caprice, d'un défaut auquel on peut remédier en bricolant, ou d'une panne qu'on peut réparer, mais bien d'un fameux Evénement Inéluctable qui tôt ou tard survient pour tout objet en fonctionnement dans notre univers. Une mort, justement : un trépas. La chose est si claire que personne ne tente un geste pour le ranimer, pas même le type à l'allure de lémurien qui tournicote dans la salle avec l'air d'en être le responsable et qui, au signe interrogateur que lui adresse la présidente, répond en secouant sa grosse tête chauve."
(Sandro Veronesi, 'Chaos Calme', Grasset, 2008)

Avancer dans 'Chaos calme', et y trouver ce mélange de profondeur et de détachement que l'on ne s'attendait pas y trouver, quel plaisir. L'humour m'a moins pris par surprise : mon libraire m'en avait touché un mot. Il avait par contre omis de me parler de l'un des thèmes principaux. A savoir, la correspondance que nous établissons -peut-être parfois abusivement- entre deux événéments pourtant bien distincts de notre quotidien. Ou encore, le reflet d'un fait réel que nous croyons voir dans l'oeuvre d'un écrivain ou d'un chanteur, oeuvre qu'il nous est presque simultanément donné de lire ou d'entendre...
Pietro, le narrateur, ne peut-il ainsi s'empêcher de trouver des échos à ce qu'il vit dans certaines paroles de Radiohead : sa femme meurt d'une rupture d'anévrisme et quelques temps plus tard, il perçoit cette phrase dans l'une de leurs chansons : 'we are accidents waiting to happen'. Il roule trop vite dans les rues sinueuses de Milan et Thom Yorke lui intime 'hey man, slow down, slow down...'. Jusqu'à cette scène où, au beau milieu d'une conférence sur la mort à laquelle il regrette d'assister, le micro de l'orateur décède inopinément. Destin? Hasard? Karma?
Quelques heures avant de lire ce fameux passage, j'étais tranquillement là, à cet endroit d'où je vous écrit en cet instant et, tout aussi péremptoirement -et définitivement : j'ai dû en racheter un autre- que le micro de Veronesi, mon modem me lâchait, me coupant du monde virtuel.

23 mai 2008

Ex-Libris

Les dons, souvent -et inexplicabement- échouent par vagues. Plusieurs arrivages en nos murs en l'espace de deux semaines. Tri rapide. Quelques petites choses intéressantes. Dont certaines agrémentées de ceci :

Ci-dessus, dans un 'Fleuve Noir' de 1960, un feuillet, collé en face de la page de titre, porte la marque (devrais-je écrire 'les armoiries'?) et l'adresse de l'ex-propriétaire.


Et ici, dans un 'Folio' de 1990, la même illustration, version 'cachet' -l'adresse a changé.
Bizarre, cette pratique -le cachet, la marque d'appartenance- m'en rappelle une autre, propre à mon travail quotidien. Un bibliothécaire dans l'âme sommeillerait-il en chaque amoureux des livres?

15 mai 2008

Sens unique


Elle, voix plaintive dans le cornet : 'Bonjour, c'est madame...., je suis en train de vider la maison de ma mère, mais je ne sais pas me déplacer et j'ai des livres à venir chercher'
Moi, méfiant : 'Euh, oui, et ils sont dans quel état?'
Elle : 'Oh, pas trop mauvais'
Moi : 'Et c'est quel genre de livres, madame?'
Elle : 'Ben, il y a des 'Nous deux' et des 'Zola', 'Baudelaire'....'
Moi : 'Bon...écoutez, je ne vais pas les prendre, nous ne sommes pas intéressés'
(Silence)
Elle, tentant sans doute de me prendre par les sentiments : 'Bon, ben alors, je vais les brûler'
Moi, écolo dans l'âme : 'Les brûler? Vous pourriez aussi les porter au parc à conteneurs ou les donner à une oeuvre caritative...'
Elle : 'Ben, je sais pas moi, vous pourriez pas vous, les donner à la Croix Rouge, avec une camionnette de la Commune?'
Moi : 'Ah non, ça non plus, ça ne va pas être possible'
Elle, définitive : 'Enfin, on veut rendre service et puis voilà comment on est reçus hein...'

09 mai 2008

Concurrence



Tu habites pile en face. Je me demande d'ailleurs si tu tiens compte des horaires, ou si tu attends de voir ma voiture garée là, à quelques mètres de l'entrée. Les lectures et autres travaux scolaires t'amènent régulièrement à venir me saluer. Si régulièrement que je te croyais 'à l'aise' ici. Je sais que, parfois malgré moi, je peux impressionner les ados. Avoue quand même que vous nêtes pas un public facile : j'aimerais vous voir plus nombreux et, en même temps, lorsque vous déboulez avec vos références incomplètes, vos questions mal formulées et votre air renfrogné, j'ai un peu de mal à vous répondre aimablement. Sincèrement, je croyais qu'on avait passé ce stade-là. Que tu avais compris que je ne mordais pas. Ou rarement.
Lundi, tu es rentrée pour me demander de prolonger une durée de prêt, puis avant même de me donner le titre du bouquin en question, tu es devenue toute rouge et je t'ai entendu bafouiller 'oh, mais non, que je suis bête, celui-là, je l'ai pris à la bibliothèque de l'école...'. Ca arrive si souvent que des lecteurs me rendent des livres empruntés chez des confrères de la région...mais tu ne le sais pas évidemment. A tes yeux, tu venais de commettre LA boulette. Tes derniers mots ne furent que chuchotements timides. J'ai quand même compris que tu t'excusais et tu as filé illico te mettre à l'abri dans ta maison. Ca s'est passé si vite, mais je pense quand même avoir eu le temps de te dire que ça n'avait vraiment aucune importance, que c'est très bien de fréquenter plusieurs bibliothèques, enfin quelque chose pour te faire comprendre que je n'étais vraiment pas fâché du tout du tout du tout...

06 mai 2008

Blog

Elle est de retour. Depuis plus d'un mois, et ce n'est que hier, grâce à Pitseleh, que j'ai découvert son nouveau blog. Intitulé 'Sometimes, you're the salt in my coffee' (serait-ce une allusion à la formidable chanson d'Arno, "Ants in my tea"?), son blog est destiné à tout le monde, dit-elle, mais elle le 'dédie avec une tendresse toute particulière à ses confrères bibliothécaires d'ici et d'ailleurs'. Merci à elle donc. Elle? Ion, la bibliothécaire acariâtre dont j'ai déjà parlé en ces lieux. Nous la savions acerbe verbalement, voilà qu'elle déverse joyeusement sa vision pour le moins critique sur le métier de bibliothécaire, via la bd cette fois. Une bouffée d'air frais, allez-y voir.

05 mai 2008

De l'anonymat


Dans le "Charlie Hebdo" du 23 avril 2008 (avec ce congé du 1er mai, je n'ai pas encore reçu le numéro du 30...), une certaine Amélie Nothomb fustige les bloggeurs anonymes. Selon elle, 'tout texte courageux et juste comporte une signature' et 'un message qui ne comporte pas de signature digne de ce nom doit être tenu pour inexistant'. Etant donné qu'elle ne prend pas la peine de préciser si elle tape tous les bloggeurs anonymes dans le même panier (les 'journaux intimes' et les 'donneurs d'opinions'), je me sens visé. Je suis comme ça, la tête près du bonnet et toujours prompt à dégainer.
Mine de rien, Amélie en rajoute une couche, elle emboîte le pas aux pourfendeurs rapides et récents de la planète internet et plus particulièrement des blogs. Quand même, si n'importe qui peut s'exprimer et être autant lu qu'un auteur 'publié', sans même être obligé de signer de son vrai nom, où va-t-on? Et comment encore justifier mes droits d'auteurs, puisqu'ils écrivent gratos, ces plumitifs nains?
Le fait de signer mes humeurs de bibliothécaire de campagne autrement que d'un simple 'Nescio' leurs donneraient-elles réellement plus d'impact? Est-ce que pour vous, fervents lecteurs de ces humeurs, le sceau de la vraie vérité pourrait être aposé sur ce blog dès le moment où vous sauriez que son auteur se nomme Raimond Gregorius, bibliothécaire à Marchin ou Maurice Tillieux, classeur/rangeur à Beauvechain ou encore Nicolas Fanuel, préposé au prêt à Amay? Et d'ailleurs, le sceau de la vraie vérité est-il si important? Dès le moment où la rencontre entre un texte et un lecteur produit l'étincelle, celle-là même qui donne l'envie de prolonger la lecture, la messe n'est-elle pas dite? Je ne sais pas qui est Pascal Mercier, et pourtant son roman, plus d'un an après, me trotte toujours en tête. Je n'ai jamais vu Gérard Manset en télé, et pour ce que j'en sais, il pourrait tout aussi bien s'appeler Sébastien Poirier, ça ne m'ôterait pas l'envie de l'écouter encore et encore. La plume et le souffle comptent, si l'auteur est quelqu'un de bien, tant mieux. En quoi, par envie de tranquilité, son usage d'un pseudo, enlèverait-il de la valeur à ses écrits et les rendraient-ils 'inexistants'? Peut-être que demoiselle Amélie n'avait pas grand chose à dire, mais que, pas grand chose, signé de son nom, ça reste malgré tout bon à publier? Et sans doute n'a-t-elle jamais entendu Manset chanter 'Gardez vous des honneurs de ce monde-ci; de l'éclat de ce monde-là'.

03 mai 2008

Licence poétique

Brel était familier du procédé. Il osait, il tordait la langue pour exprimer exactement ce qu’il sentait ou voyait. Dans ‘Le gaz’, l’escalier colimaçonne, les ‘Bigottes’ s’embigotent les yeux baissés et durant son ‘Enfance’, il arpégeait son chagrin. Trois exemples parmi des dizaines d’autres. C'est inspiré, et ça n'écorche pas les oreilles. J'enrage par contre d'entendre et de réentendre Bashung chanter sur son dernier album, 'un jour je courirai moins, jusqu'au jour où je ne courirai plus'. Superbe album par ailleurs, tellement que je le distille et me contraint à ne pas le laisser tourner en boucle. Mais bon, sur cette paresse-là, Alain perd quand même des points...qu'est-ce qui l'empêchait de demander à Gaëtan Rousel, l'auteur ce texte, de remplacer 'courirai' par...je ne sais pas moi...tiens : 'chanterai' par exemple?